«On tue la une!», criait Rémy Girard dans la série Scoop. La réplique m'a toujours fait rigoler, probablement parce qu'en 35 ans de journalisme, je n'ai jamais entendu quiconque la proférer. Remarquez que je suis rarement dans la salle de rédaction à minuit le soir, l'heure fatidique où certaines unes sont effectivement mortes de leur belle mort.

Reste que 35 ans plus tard, ce mythique «On tue la une!» n'est plus une blague, mais une réalité.

Aujourd'hui, on tue la une aux dix minutes sur la plupart des sites d'infos de la planète. Vous venez à peine de prendre connaissance d'une nouvelle, qu'elle fane instantanément au contact d'une nouvelle plus fraîche.

L'évolution des médias d'information me fascine, et d'autant plus que j'ai commencé dans le métier sur une Underwood noire aux touches cerclées d'argent, sur lesquelles je piochais comme une défoncée, arrachant les feuilles de papier du rouleau à la moindre fausse frappe.

Je me souviens encore quand les premiers ordinateurs, de grosses Bertha lentes et poussives, sont entrés dans la rédaction où j'ai fait mes classes. J'étais horrifiée à l'idée de devoir écrire sur ces cyclopes bouffis qui m'aveuglaient avec leurs curseurs clignotants.

Du jour au lendemain, le cliquetis furieux des frappes qui résonnait comme mille mitraillettes à l'heure de tombée s'est mué en un silence mortuaire. Je croyais que les cyclopes allaient sonner la fin du journalisme écrit et que je ne m'y habituerais jamais. Deux mois plus tard pourtant, je me demandais comment j'avais fait pour vivre si longtemps sans un ordinateur.

J'ai eu un peu la même réaction de crispation effrayée en voyant un des premièrs numéros-tests de La Presse+ lancée cette semaine sur iPad.

Le changement stimule, mais il affole aussi parce qu'il bouscule nos habitudes et torpille nos repères. En faisant glisser les fenêtres successives de cet hybride, à la fois journal imprimé et magazine numérique, j'ai eu un choc, déclenché d'abord par l'absence de vision d'ensemble.

Dans un journal de papier, cette vision d'ensemble se déploie sur une vaste surface verticale, hiérarchisée par un titre plus gros que les autres, par une nouvelle qui occupe plus d'espace. Cette proposition verticale organisée, c'est l'ADN d'un journal, son identité, sa signature. C'est ce qu'un journal propose et décide pour sa communauté de lecteurs et pour sa société.

Mais dans La Presse+, la vision d'ensemble est atomisée, éclatée. Le journal décide beaucoup moins pour le lecteur, offrant à ce dernier un contrôle éditorial plus grand qui lui permet d'aller directement à ce qui l'intéresse et, s'il le veut, à oublier le reste.

Sur le coup, quand on carbure à cette vision d'ensemble proposée chaque matin et qui, en quelque sorte, structure notre lecture, ça peut être déstabilisant. J'en sais quelque chose.

N'empêche. J'ai mis deux mois à m'habituer aux ordinateurs, mais seulement deux jours à adopter ma nouvelle Presse+. Et pas nécessairement à cause du graphisme séduisant, de la résolution spectaculaire des photos et autres gadgets technos qui vous permettent de blanchir les dents d'une pub de dentifrice ou de changer la couleur d'une voiture. Tout cela est effectivement très beau, bien fait et attirant à mort. Mais je suis une personne de l'écrit. Ma priorité, c'est les textes. Et à mon grand soulagement, les textes sur La Presse+ sont mis en valeur et presque mieux servis que par le papier. D'un clic, non seulement le texte remplit-il toute la fenêtre, mais il gagne en caractère. Il y a plein d'autres belles trouvailles dans La Presse+, qui a mis trois ans à naître, mais la plus réjouissante, c'est que c'est gratuit. Aujourd'hui, demain et jusqu'à la fin des temps.

Vous pensez peut-être que cette chronique est une commande de mes patrons. Détrompez-vous. Ils ne savent même pas que je l'écris. Cette chronique n'est pas une pub. C'est l'acte de contrition d'une fille qui a douté du projet et qui se rend compte qu'elle a douté (et rouspété) pour rien.

Que dire de plus? Avec La Presse sur iPad, c'est une nouvelle aventure qui commence pour nous tous: une aventure excitante, décoiffante et un brin casse-gueule. Je me sens prête à la vivre. J'espère que vous l'êtes aussi.

ON N'EN PARLE PAS ASSEZ

Du retour à la télé du journaliste Michel Morin qui autrefois fut la bête noire d'Hydro-Québec. Morin a été présenté sur les ondes de TVA, la veille de la nomination de Pierre Karl Péladeau à la présidence du CA d'Hydro. Morin a-t-il été engagé par TVA pour talonner PKP ou pour lui servir de caution? À suivre.

ON EN PARLE ENFIN

De la troublante coïncidence entre les attentats de Boston et l'explosion qui vient de souffler une usine d'engrais près de Waco, au Texas. La coïncidence tient au fait qu'en 95, l'attentat à la bombe à Oklahoma City, qui a fait 168 morts et 680 blessés, était la vengeance d'un ex-vétéran contre l'intervention meurtrière du gouvernement américain au siège de Waco, deux ans plus tôt. Tout ça un 19 avril. Hasard?