Le mot terrorisme est apparu brièvement, puis a disparu, avant de réapparaître hier midi dans la bouche du président Obama, mais avec les nuances réservées à une flamme vacillante dont le feu menace de mourir à tout moment.

Vingt-quatre heures après l'explosion de deux bombes au marathon de Boston, autant le président Obama que les animateurs et commentateurs à la télé américaine marchaient toujours sur des oeufs. Ils faisaient preuve d'une retenue exemplaire en matière d'hypothèses, de théories du complot et de supputations sur l'identité des auteurs du terrible carnage.

À Boston, depuis deux jours, nous sommes à des années-lumière d'Oklahoma City.

Vous souvenez-vous d'Oklahoma City? Le 19 avril 1995, une bombe posée dans un camion piégé par un vétéran de la guerre du Golfe, sympathisant des milices d'extrême droite, a explosé devant un édifice fédéral du centre-ville. Bilan: 168 morts, dont 19 enfants, et 680 blessés.

Quelques heures après cette explosion dévastatrice, les rumeurs d'un complot islamiste se sont répandues comme une traînée de poudre sur les réseaux américains. Cet attentat porte le sceau du Proche-Orient («this has the Middle East written all over»), a affirmé sans sourciller un agent du FBI, déclenchant un tsunami de théories fumeuses mettant en vedette le Hamas, le djihad, la Jordanie, Saddam Hussein, alouette!

Le grand dérapage ne faisait que commencer, ai-je écrit dans une chronique. Et comment! Très vite et sans aucune preuve à l'appui, sinon l'extraordinaire dévastation causée par la bombe, on a parlé d'un engin explosif hyper sophistiqué fabriqué par un génie du terrorisme international. Deux jours plus tard, on apprenait qu'il s'agissait en réalité d'une bombe de fabrication artisanale à base d'engrais. Pas tout à fait la même chose...

Les fausses nouvelles, conclusions hâtives, approximations, raccourcis et autres débordements narratifs ont duré plus d'une semaine avant que la vérité, un brin plus complexe, ne commence à émerger.

Les médias américains ont eu l'air fous, hystériques et pas professionnels pour un sou.

Dix-huit ans plus tard, de toute évidence, la leçon amère d'Oklahoma City semble avoir porté ses fruits. Tant mieux, même si notre soif de savoir tarde à être assouvie. Tant mieux, même si nous devons subir les récits en boucle de témoins qui disent tous la même chose et qui n'apportent rien de neuf à l'histoire. Tant mieux surtout parce que les évènements tragiques de Boston auront eu le mérite de nous épargner les mensonges et les raccourcis.

D'Oklahoma City à Boston, il n'y a pas un siècle, il y a 18 années qui ont vu naître Facebook, Twitter et Instagram, autant d'outils qui permettent tous les excès, y compris l'affichage de photos sanglantes, dont celle, terrible, de ce pauvre coureur à la jambe en lambeaux, la peau arrachée, les os fracassés, qu'on a vue un peu partout sur les réseaux sociaux. Et que dire de ces celebrity tweets navrants où chaque vedette, depuis Arnold jusqu'à Oprah en passant par Katy Perry, Justin Timberlake, Ben Affleck et compagnie, s'est sentie obligée de réagir à la tragédie de Boston et de nous faire part de ses prières, pensées et autres clichés.

Pourtant, c'est dans cette mer sucrée de bons sentiments que j'ai trébuché sur le texte d'un humoriste dont je n'avais jamais entendu parler, un dénommé Patton Oswalt. Pourquoi ai-je cliqué sur son message, je ne le saurai jamais. Chose certaine, je n'étais pas la seule. En l'espace de 24 heures, son message est devenu viral, comme si, dans la folie du moment, les gens avaient trouvé à travers ses mots un puissant antidote au désespoir.

«Je me souviens qu'après le 11 septembre, je ne voulais plus rien savoir de l'humanité, écrit Oswalt. Mais j'avais tort... Cela va au-delà des religions, des croyances ou des nations. Nous ne serions pas ici si l'humanité était foncièrement mauvaise. Car si c'était le cas, nous nous serions entre-dévorés depuis longtemps... Ceux qui font le bien sont et seront toujours plus nombreux que ceux qui font le mal.»

Ce que Patton Oswalt dit de plus important, c'est que peu importe si les responsables de l'attentat de Boston sont un, deux, trois ou cent, leur nombre demeurera toujours inférieur aux centaines et aux milliers d'humains qui se sont portés au secours de leurs semblables ce jour-là...

D'Oklahoma City à Boston, il n'y a pas un siècle, il y a 18 années de chocs, de tragédies et de morts inutiles qui, en fin de compte, malgré tout et malgré nous, n'ont jamais eu raison de l'espoir et de la vie.