Entre un film sur une quinqua divorcée au Chili (Gloria) et un autre sur une jeune religieuse française qui veut défroquer (La religieuse), un ovni québécois s'est invité dans la course de la 63e Berlinale. J'ai nommé Vic et Flo ont vu un ours du réalisateur Denis Côté, mettant en vedette une Pierrette Robitaille méconnaissable.

La populaire actrice incarne dans ce film déroutant une ex-détenue venue se réfugier avec son amoureuse (Romane Bohringer) dans une cabane miteuse au fond d'un bois quelque part dans le Québec profond.

Comme Denis Côté le raconte lui-même, Victoria a coupé les ponts avec la société et ne veut rien savoir de la réintégrer, quoi qu'en pense son agent de probation, incarné par Marc-André Grondin. Mais la société va se charger de rappeler les deux femmes à l'ordre, et de bien méchante façon. Aucun doute possible: nous ne sommes pas ici dans la suite d'Unité 9.

Présenté à la presse en fin d'après-midi hier, non pas dans la grande salle du Palais des Festivals, mais dans celle du Cinéplex à côté, Vic et Flo a passablement dérouté la presse internationale. Des applaudissements polis ont résonné à la fin de la projection, mais il n'y avait pas foule à la conférence de presse. Certains journalistes n'ont pas tout compris ni saisi la nature de la relation entre Vic et Flo. D'autres se sont dits traumatisés par la fin sanglante, qui bascule dans le cinéma de genre et nous offre une vengeance que Côté qualifie lui-même de grotesque.

Un jeune journaliste chinois un brin insolent a demandé au cinéaste si, sachant qu'il était invité à Venise ou à Cannes, il aurait changé l'ours du titre pour un lion ou même un palmier. Côté a répondu oui, comme de raison...

Il reste qu'entendre cet ex-critique de cinéma, bête noire de tous les Vincent Guzzo de ce monde et grand chouchou des festivals, expliquer son film est un pur délice. Non seulement Côté est brillant, mais il sait exactement ce qu'il fait quand il nous confond, nous déroute et nous mène en bateau.

«J'ai un rapport tordu avec le réel, dans la mesure où, ayant les deux mains pleines de réel au quotidien, j'ai envie de décoller, de tordre le réel quand je fais des films. La facture a beau être réaliste, les situations sont improbables. Les gens me reprochent parfois de ne pas donner au spectateur ce qu'il veut. Au contraire, je lui donne tout, et surtout la liberté de penser pour lui-même.»

Côté avoue aussi qu'il a réalisé ce film - son huitième long métrage depuis Les états nordiques - en réaction à l'absence, dans le cinéma québécois, de vrais méchants qui font du mal aux autres par pure méchanceté.

«Les méchants dans les films québécois ont toujours de bonnes raisons d'être devenus méchants. C'est en général à cause de la Providence ou de problèmes tombés du ciel. J'avais envie d'aller contre cette tendance lourde.»

Côté a aussi réalisé Vic et Flo en réaction à deux films québécois, Camion et Le vendeur, deux bons films à ses yeux, mais dont il met en question la gentillesse. «Je n'accepte pas cette livraison du réel où tout finit bien et où tout le monde, au fond, est bon», dit-il.

Dans Vic et Flo, les personnages ne sont pas toujours tendres ni nets, mais ils sont humains et ne font pas le poids lorsque surgit un vrai méchant qui, dans ce cas-ci, est une méchante jouée avec une perversité enjouée par Marie Brassard, la troisième roue d'un carrosse qui est en réalité une voiturette de golf.

Avec Vic et Flo et ses trois actrices, Denis Côté dit avoir voulu payer leur dû aux femmes, peu présentes dans ses autres films. S'il a changé d'actrice française en cours de route, remplaçant Valérie Donzelli par Romane Bohringer, il a toujours voulu Pierrette Robitaille.

«Avec Pierrette, c'était un défi et un gamble, dans la mesure où elle est assez loin de mon univers, mais ça a été un réel plaisir de la transformer et de l'amener dans mon monde à moi.» Autant dire que le plaisir fut réciproque. Pierrette Robitaille espère bien qu'à travers ce film, les gens apprendront à la voir autrement.

Il est encore trop tôt pour dire si Vic et Flo a des chances de repartir avec un Ours d'or ou d'argent. L'accueil mitigé de la presse est une chose. Celui du jury présidé par Wong Kar-wai peut être tout autre. La seule certitude à ce moment-ci, c'est que la Berlinale est encore jeune et n'a pas livré tous ses secrets.

Papa était comptable

Toute la bande des Misérables, qui sort bientôt en Europe, est passée en coup de vent à Berlin. Interrogé sur sa nomination aux Oscars pour le rôle de Jean Valjean, Hugh Jackman a répondu qu'il vivait avec un Oscar depuis 12 ans puisque c'est le prénom de son fils. Sa nomination lui a rappelé qu'à 7 ans, il regardait les Oscars, ébahi de savoir que son père, comptable chez Price Waterhouse, avait rencontré un des comptables qu'il voyait à la télé. «Même les comptables des Oscars m'impressionnaient! a-t-il dit à la blague. Quant à Anne Hathaway, elle a juré qu'elle n'avait aucun projet d'enregistrement de CD ni de velléités de devenir chanteuse sur Broadway. Les chanteuses de Broadway et d'ailleurs peuvent dormir en paix.

Citation du jour

Qu'est-ce qui se passe à la Berlinale? Deux films en deux jours sur des vieux qui veulent refaire leur vie et deux autres avec des pièges à ours?