Tous les mois de décembre depuis huit ans, le Théâtre du Rideau Vert nous offre la première revue de l'année, un Bye Bye en direct et en vrai sous le titre Revue et corrigée. N'ayant pratiquement pas manqué une seule présentation depuis huit ans, je peux d'ores et déjà vous assurer que celle de 2012 est la meilleure, la plus drôle, la plus mordante et surtout la plus jouissive. Évidemment, quand on pense au déluge de calamités que l'actualité politique nous a servi cette année, c'était dans l'ordre des choses.

Avec la corruption, la commission Charbonneau, les détournements massifs de fonds publics à coup d'enveloppes brunes, de pots de vin, de voyages dans le Sud et de parties de golf en compagnie de ce grand gentleman et humoriste qu'est Vito Rizzuto (sic), les auteurs ne manquaient pas de matière. Même qu'il aurait fallu être franchement sous-doué pour ne pas profiter de toute cette merde pour produire une revue de grand cru.

Mais rendons à César ce qui lui revient. Si la version 2012 Revue et corrigée est à ce point réussie, c'est à cause du contexte, bien sûr, mais c'est aussi parce que les textes des quatre auteurs sont bons et intelligents, la mise en scène de Serge Postigo, rythmée et enlevante, et les interprètes d'une effroyable efficacité, surtout quand ils imitent Pierre, Jean, Gérald, Pauline, Line et Michelle.

Je ne reviendrai pas sur les différents numéros qui ont tous fait l'objet d'appréciations aussi favorables qu'enthousiastes dans les médias. Je reviendrai toutefois sur un aspect dont on a peu fait état: le public.

J'ai rarement vu un public prendre à ce point son pied et se défouler avec autant de vigueur et de plaisir. C'était le cas le soir où j'y étais. Et je suis convaincue que ce sera le cas tous les soirs jusqu'aux supplémentaires en janvier. La raison est assez simple, merci. On ne peut pas inlassablement écouter le récit des magouilles, mensonges, crosses et coups fourrés dont on a fait les frais sans avoir le goût d'exploser. À un moment ou l'autre, le besoin d'une soupape pour écouler la frustration, la colère et l'indignation populaires devient aussi pressant qu'une envie de pisser. Vite, un exutoire! Et quel meilleur exutoire que le rire, cet exercice d'hygiène mentale nous permettant de combattre notre impuissance en tournant en dérision les puissants qui ont abusé de notre confiance.

D'entrée de jeu, les interprètes de Revue et corrigée mettent d'ailleurs la table avec des mots moins polis que les miens. Reprenant le thème musical de Star Académie, ils nous balancent en ouverture et pour notre plus grand bonheur le refrain: «Toi plus moi, plus eux, plus tous ceux qui le veulent, c'est le temps de l'année de se foutre de leur gueule. Allez, venez, criez: on n'en peut plus, en 2012, ça suffit, les trous du cul!»

Autant dire qu'en entendant ce refrain vindicatif, la salle explose de joie à tout coup.

«Le rire est une arme de dérision massive», écrit Christian Vanasse dans la revue Relations, qui consacre ce mois-ci un numéro très pertinent aux fonctions sociales et démocratiques du rire. Christian Vanasse y avoue notamment qu'avant de se joindre aux Zapartistes, il y a plus de dix ans, il passait sa vie à être «en crisse». La découverte d'Yvon Deschamps, de Sol, de Clémence et des autres lui a fait comprendre qu'il avait deux choix: la brique ou la blague. «Bien que l'un n'empêche pas l'autre, écrit-il, la blague peut être à ce point efficace que l'on n'a même plus besoin debrique.»

Pour le sociologue et essayiste Éric Gagnon, qui participe aussi au dossier de la revue Relations, le rire est une activité de l'esprit et une condition nécessaire à la discussion politique et à la vie démocratique. Gagnon explique qu'à l'époque de la démocratie athénienne, la comédie fut avec la philosophie «la première grande dénonciation des perversions dont la politique et la parole sont souvent l'objet».

Il y a une parfaite adéquation entre ses propos et le sentiment enivrant, euphorisant même, qu'on ressent en tant que public devant la charge à fond de train contre le monde politique, menée tambour battant par la troupe du Rideau Vert. Pour une rare fois dans cette année placée sous le signe de la corruption, on a le sentiment que le pouvoir s'est inversé et que les pauvres ploucs et cochons payeurs de taxes que nous sommes obtenons enfin une forme de réparation, moins complexe que la commission Charbonneau et à la gratification plus immédiate. Et à voir l'énergie qu'y mettent les six interprètes dont la désopilante Suzanne Champagne (sublimation parfaite de Pauline Marois), on a l'impression qu'eux aussi se vengent à leur façon.

Mais il y a quand même un «mais» dans cet exercice de défoulement collectif. Ce «mais» n'a rien à voir avec la qualité du spectacle, mais plutôt avec son aboutissement. L'on sort de cette revue ravis, souriants, purgés en somme. L'indignation calmée, on baisse la garde, on détend le poing, on laisse tomber la brique. C'est bien, mais il ne faudrait jamais perdre de vue une chose: ce n'est pas parce qu'on rit que ça règle quoi que ce soit. Rions, mais restons vigilants.