Nouvelle venue sur la scène musicale québécoise, Lisa LeBlanc n'a pas mis de temps à s'imposer avec son folk trash joyeux et son cri de ralliement Aujourd'hui, ma vie c'est d'la marde. Mais depuis que le succès a frappé à sa porte et que l'ADISQ l'a couverte de nominations, l'Acadienne ne rêve que de repartir sur la route avec une van, deux musiciens et sa guit(are).

De loin, je vois Lisa LeBlanc, cheveux au vent, bottes aux pieds, pédaler comme une malade. Il fait beau, il fait chaud et Lisa a décidé de laisser Doris, sa Buick Century 2001, à la maison. Elle gare sa bécane contre un parcomètre devant le Théâtre St-Denis et s'avance vers moi comme une cowgirl perdue dans la grande ville. Son visage incroyablement jeune (elle a eu 22 ans en août) et ses traits fins et féminins me surprennent : un visage de poupée dans une enveloppe de débardeuse. Deux minutes plus tard, sur la terrasse d'un café, au détour d'une remarque sur son signe astrologique, elle se lance sans cérémonie dans une description candide d'elle-même.

« J'ai une grosse crinière, une grosse personnalité. Je suis loud et rouspéteuse, mais il y a aussi chez moi beaucoup de quête personnelle, un tempérament de leader et des remises en causes constantes : une vraie lionne, quoi! »

Une vraie Acadienne aussi, née à Rosaireville, à une heure de Moncton, là où son frère aîné, ses parents et les parents de leurs parents aussi, sont nés, là où enfant, elle dessinait et écrivait, avant de voler la guitare de sa mère, un Beaver Creak cheapo, et de se mettre à jammer dans le garage familiale avec toute la parenté.

Acadienne, Lisa LeBlanc l'est à cent pour cent, Acadienne et fière d'être francophone, mais parlant une langue (le chiac) truffée jusqu'au trognon de mots anglais.

Reste que contrairement à Radio Radio, le trio hip hop de La Baie, qui ne chante qu'en chiac, Lisa, elle, a choisi le français pour toutes ses chansons. « J'ai écrit des tounes en anglais, mais j'me suis vite rendue compte que ce n'était pas tellement bon. Peut-être que si j'avais continué, je me serais améliorée, mais toute ma famille parle français. J'ai grandi en français, l'Acadie c'est d'ousse que je viens, pis écrire en français, c'est naturel pour moi. »

Pourtant, ce ne sont certainement pas les chansons des artistes québécois qui ont bercé son adolescence, mais celles des Beatles, des Hollies, d'Aerosmith, de Fleetwood Mac et surtout de Stevie Nicks, son idole. Ce n'est qu'à 17 ans, après le gala de la chanson de Caraquet, où elle a gagné dans la catégorie auteur-compositeur-interprète, qu'elle découvre l'existence à Granby d'une école de la chanson. « Je me suis dit Holy shit, si cette école existe, faut que j'y aille. »

Deux ans plus tard, Lisa LeBlanc se retrouvait avec 14 camarades de classe à écouter les conseils de Marie-Claire Séguin et du directeur Robert Léger. On connaît la suite. Elle remporte le concours de la chanson de Granby en 2010 et met le cap sur Montréal. « Chus t'arrivée en ville avec Doris, ma Buick, une valise, mes guits et fuck all! Y'a des bouttes où je me suis demandé : tabarnouche qu'est-ce que je fais icitte! »

Lisa LeBlanc n'avait pas grand-chose en arrivant à Montréal, mais elle avait une centaine de shows dans le corps et dans ses cartons, des chansons comme Calisse-moi là ou Aujourd'hui ma vie c'est d'la marde, capsules crues et drues de la vie de tous les jours, choquantes pour les uns, mais irrémédiablement rassembleuses pour les autres.

« C'est bizarre, dit-elle, parce que Aujourd'hui ma vie c'est d'la marde, est une toune que j'haïssais. Trois accords, un banjo, je trouvais que je m'étais pas forcée beaucoup, pis j'avais peur de sonner comme une Bernadette Adamus, sauf que la première fois que je l'ai chantée, au Quai des Brumes je crois, ça n'a pas pris de temps que le monde chantait avec moi. La réaction du monde m'a réconciliée avec la toune. »

Vent de fraîcheur

Habituée du Quai des Brumes, mais aussi du Mousse Café où, entre deux brassées de lavage, elle pousse quelques tounes, Lisa LeBlanc ne tarde pas à susciter de l'intérêt. Son folk trash au style à la fois, direct, âpre et drôle, sa langue parfois outrancière, sa charmante insolence et sa bonne humeur contagieuse, sèment un vent de fraîcheur sur son passage. Une invitation à Belle et Bum viendra sceller l'affaire et fera naître un réel buzz autour de sa personne. C'est ce qui explique que, en recevant un simple courriel de sa part, Louis-Jean Cormier de Karkwa a accepté spontanément de réaliser son premier disque, lancé en mars dernier au Lion d'or. Depuis, Lisa LeBlanc est devenue la chouchou des médias, mais aussi d'un certain public qui s'est rué sur son CD, ce qui lui a valu un disque d'or et des ventes de 40000 exemplaires.

Il y a seulement deux ans, Lisa LeBlanc s'est retrouvée un soir au Club Soda. « Ce soir-là, raconte-t-elle, je me suis dit : c'est moi qui vais être sur ce stage-là un jour. » Le jour est arrivé plus tôt que prévu, samedi dernier, alors que la grande et joyeuse rouspéteuse s'est retrouvée devant une foule en délire, cordée serré et enthousiaste, lui vouant un véritable culte.

Lisa affirme qu'elle n'oubliera jamais cette soirée où elle a littéralement surfé sur la foule, tenue d'une main par sa coloc et de l'autre par son chum, un humoriste du duo Les Pic-Bois. En même temps, elle laisse entendre subtilement que le succès, le showbizz, les invitations à la télé et toute la broue du vedettariat commencent à lui peser. Une autre dirait la même chose et on ne la croirait pas, mais venant de cette fille qui a grandi dans un village perdu de 40 âmes, ça se comprend.

« Moi je suis une fille qui fait des tounes. Tout le fla fla qui vient avec le métier, ça me fait pas vraiment tripper. Je suis trop simpliste pour ça et même si dans le milieu, y'a plein de belles personnes, y'a aussi une méchante gang de phonies. »

Où se voit-elle dans 10 ans? Lisa LeBlanc, de son propre aveu, n'en a aucune crisse d'idée. Tout ce qu'elle voit, c'est une «van» qui roule quelque part sur une route au Québec ou au Canada. À l'intérieur, deux musiciens, une tonne de guits et elle au volant, qui ne rouspète plus, mais qui sourit de toutes ses dents : le sourire de la liberté.

LISA HIER ET AUJOURD'HUI

HIER : Née à Rosaireville, au Nouveau Brunswick, en août 1990.

Un frère aîné. Un père dans la construction. Une mère secrétaire, ex-membre du groupe The Little Rainbows.

MEILLEUR MOMENT À ROSAIREVILLE : jammer avec la famille élargie des LeBlanc, avec les amis et le concierge de son école, dans le garage après son bal de fin d'études.

SES INFLUENCES MUSICALES : Stevie Nicks, Sam Roberts, Feist, Aerosmith et, au Québec, Jean Leloup et Daniel Bélanger.

PLAISIR COUPABLE : regarder des chick flicks avec ses chums de filles en se bourrant d'ice cream et en braillant.