Les critiques de cinéma vous diront que La Dame, le film de Luc Besson sur l'opposante birmane Aung San Suu Kyi, est un film sirupeux, fleur bleue, un biopic convenu, une hagiographie sans esprit critique ni subtilité. Même les plus cléments ne pourront s'empêcher de souligner qu'avec ce film, le père de Nikita ne réinvente rien.

Les critiques de cinéma vous diront que La Dame, le film de Luc Besson sur l'opposante birmane Aung San Suu Kyi, est un film sirupeux, fleur bleue, un biopic convenu, une hagiographie sans esprit critique ni subtilité. Même les plus cléments ne pourront s'empêcher de souligner qu'avec ce film, le père de Nikita ne réinvente rien.

Techniquement et formellement, ils auront sans doute raison, mais bien franchement, tant pis pour eux. Tant pis parce que dans des cas aussi extraordinaires que celui-là, la critique formelle d'une oeuvre est à mes yeux une perte de temps, un exercice parfaitement stérile.

Cela dit, avant d'accabler davantage mes camarades, un mea-culpa s'impose. Lundi matin, il a fallu que je me fasse violence pour aller au visionnement de presse du film. Jusqu'à la dernière minute, j'ai hésité, tergiversé, cherché une échappatoire, convaincue que le film de ce cinéaste dont je ne suis pas une grande fan était un remake d'Indochine sans Catherine Deneuve. Si je me suis ravisée, c'est dans le but purement journalistique d'en apprendre un peu plus sur celle dont je n'ai jamais réussi à prononcer le nom correctement quand je ne l'ai pas carrément oublié. Anne Sue qui?

Dès que les lumières de la salle se sont éteintes, me parachutant en Birmanie (en Thaïlande, en réalité) avec la fabuleuse actrice Michelle Yeoh, instigatrice du projet, un constat s'est imposé. Malgré tous ses défauts, La Dame fait la preuve, scène après scène, des limites de l'information et de la force incontestable du cinéma.

Je ne suis pas une spécialiste de la géopolitique ni de l'actualité internationale. Et même s'il m'arrive à l'occasion de lire le Courrier international, bien franchement, avant de voir La Dame, j'avais une idée très floue de qui elle était.

De son apparition intermittente sur les chaînes d'informations en continu depuis plus de 20 ans, j'avais retenu qu'«Anne Sue qui?» était une frêle, mais belle madame, toujours bien mise, avec un jardin complet d'orchidées dans les cheveux. J'avais aussi saisi qu'elle s'opposait à un régime antidémocratique qui l'a assignée à résidence pendant des années et qu'elle avait un jour - il y a cent ans - remporté le prix Nobel de la paix. Pour le reste, le blanc complet au sujet de celle qu'on surnomme la Dame de Rangoon ou l'Orchidée de fer.

Il y a sans doute beaucoup de gens mieux informés que moi à ce sujet, mais il y en a probablement davantage qui ignorent tout de la dame, le fait qu'elle soit la fille d'un grand général, sorte de René Lévesque de la Birmanie, assassiné par la junte militaire. Le fait qu'elle ait épousé un prof britannique, avec qui elle a eu deux fils, et qu'avant de retourner à Rangoon, au chevet de sa mère malade au milieu des années 80, elle était une femme au foyer à Oxford en Angleterre. Ce retour en Birmanie a tout fait basculer et a transformé cette femme qui coulait une existence tranquille en un monument de courage, de détermination et d'entêtement farouches contre l'une des plus brutales juntes militaires du monde.

Grâce au film, nous entrons dans l'intimité politique et personnelle d'une battante, dont l'image a clignoté de temps à autre dans les bulletins d'information pendant deux bonnes décennies, sans nous livrer l'essentiel: à savoir l'isolement de cette femme abandonnée par les pouvoirs de l'Occident et luttant seule contre la junte. À savoir aussi, le soutien exemplaire de son mari qui, de l'Angleterre, a tenté en vain de rallier l'opinion publique occidentale à sa cause avant de succomber à un cancer.

Le seul vrai reproche qu'on peut faire au film, c'est une fin dépassée par l'actualité récente, qui ne fait pas mention de l'élection d'Aung San Suu Kyi aux dernières législatives et encore moins du fait qu'elle siège depuis mercredi comme députée au Parlement de la Birmanie. Qu'à cela ne tienne: je serai éternellement reconnaissante à Luc Besson de m'avoir poussée à découvrir cette femme extraordinaire et fait comprendre par le cinéma ce que les bulletins d'information n'ont su m'enseigner.

Les critiques vont diront beaucoup de choses pas gentilles sur La Dame. Ne les écoutez pas et courez voir ce film.