Dès ce soir, à la tombée de la nuit, sur le célèbre boardwalk qui longe l'océan, le studio montréalais Moment Factory aura exactement huit minutes et demie pour faire une différence et changer la perception populaire d'Atlantic City.

Pourquoi seulement huit minutes et demie? Parce que c'est la durée de la projection multimédia conçue par Moment Factory à la demande de l'Atlantic City Alliance dans le but de redorer le blason vieillissant, kitsch et en plein déclin de la mecque du jeu sur la côte Est américaine.

Coiffé du titre Dualité, le spectacle, qui a pris trois mois à concevoir et a coûté 1,5 million de dollars à concevoir, transformera la façade de l'emblématique Boardwalk Hall, un édifice datant de 1929, en un moulin à images et à couleurs dans un feu d'artifice d'effets visuels, avec explosions et implosions en prime.

Le spectacle sera inauguré ce soir, juste après le feu d'artifice des célébrations du 4 juillet, fête de l'Indépendance américaine. Puis dès demain, le spectacle sera repris à la tombée de la nuit deux fois l'heure jusqu'à 1h du matin, 365 soirs par année.

Selon Liza Cartmell, présidente d'Atlantic City Alliance (ACA), qui reçoit 30 millions par année des casinos pour faire la promotion de la ville, le choix de Moment Factory s'est vite imposé.

«On cherchait les meilleurs, capables de recréer le sens du spectacle et du spectaculaire qui a longtemps été l'apanage d'Atlantic City, reconnue pour ses casinos, mais aussi pour ses spectacles. C'est ici que Houdini a longtemps élu domicile, ici aussi qu'en se promenant le long de la plage, on tombait sur une machine à écrire géante, sur un cheval qui plongeait dans une piscine et sur Lucy, un célèbre édifice en forme d'éléphant.»

En faisant leurs recherches, les gens d'ACA ont été attirés par la feuille de route de Moment Factory, qui venait de signer les effets spéciaux de Madonna au Superbowl.

«On leur a demandé de nous faire une soumission. Il y avait deux autres candidats en lice, mais Moment Factory est arrivé avec la proposition la plus originale et la plus inspirante», explique Liza Cartmell.

Depuis trois mois, une équipe d'une trentaine d'ingénieurs et de techniciens en informatique, rivés à leur écran d'ordinateur ou penchés sur une maquette du Boardwalk Hall, dans les studios de Moment Factory à Montréal, planche sur le projet. Une partie de l'équipe technique a débarqué à Atlantic City et s'est installée sur le boardwalk en mai, et le reste de la troupe est arrivé le 23 juin pour des ajustements longs et complexes.

Geneviève Forest, la chargée de projet, affirme que malgré la complexité de l'entreprise, les choses se passent mieux que prévu, même si depuis deux semaines, les gens de Moment Factory travaillent de nuit et ne se couchent pas avant 6h du matin.

L'an passé, à pareille date, la même équipe mettait la touche finale à Mosaika, un spectacle qui illuminait la façade du parlement à Ottawa.

«Pour Mosaika, on avait un mandat historique qui nous a obligés à faire des dizaines de rencontres avec des historiens, raconte Geneviève Forest. Mais la seule demande d'Atlantic City était de rendre compte de la personnalité de la ville. Pour le reste, on avait carte blanche. Ça nous a permis de nous éloigner de l'approche chronologique, d'être plus créatifs et d'arriver avec ce thème de la dualité qui est très représentatif de la ville.»

Dualité entre le jour et la nuit, entre le soleil de la plage et les lumières tamisées des casinos, entre l'émotion et la raison, entre gagner et perdre, Atlantic City, encore plus que Las Vegas, est une ville de contraires et de contrastes, qui traîne depuis trop longtemps une réputation de paradis kitsch et quétaine, à laquelle l'horrible Taj Mahal de Donald Trump, qualifié de cimetière du bon goût, a contribué. C'est aussi une ville qui, depuis la légalisation des casinos en 1978, ne cesse de vouloir se réinventer sans jamais y parvenir.

Selon Liza Cartmell, cette réputation, autrefois méritée, ne tient pas compte des changements qui redessinent tranquillement la ville depuis 2003 avec l'ouverture du Borgata devant la marina d'Atlantic City, un hôtel chic et de bon goût pour une clientèle plus jeune. Tout dernièrement, l'ouverture du Revel, un mégacasino de 48 étages et de 1900 chambres qui a coûté 2,4 milliards, annonce une nouvelle ère à Atlantic City.

Là encore, on a fait appel au talent montréalais. Scéno Plus a signé la conception de la salle de spectacle du casino de 14 000 mètres carrés, inaugurée par Beyoncé; la céramiste Pascale Girardin a également créé un immense mobile fait de 19 7000 tuiles dorées qui descendent en cascade du plafond.

Ne manque plus que le Cirque du Soleil pour qu'Atlantic City devienne le Vegas de la côte Est. Mais selon Liza Cartmell, Atlantic City préfère se distinguer autrement, en misant sur ses restos, ses spas, ses spectacles avec les vedettes rock de l'heure et ses kilomètres de boutiques de grandes marques soldées. Elle espère toutefois que le feu d'artifice de huit minutes et demie de Moment Factory enverra le signal qu'Atlantic City s'est à nouveau réinventée, et que cette fois, c'est pour de bon.

PHOTO Saul LOEB, archives Agence France-Presse

Atlantic City tente de redorer son blason avec l'aide du studio montréalais Moment Factory, qui présente un spectacle multimédia innovateur.