Depuis le début du conflit étudiant, le carré rouge a non seulement fait du chemin, il a fait des petits. En cours de route, il est devenu le symbole par excellence de la résistance et celui, assez inspirant merci, d'une jeunesse éloquente qui refuse avec l'énergie de l'espoir de s'en laisser imposer, fût-ce par la police, le gouvernement ou la matraque d'une loi spéciale. On a vu le carré rouge briller au gala des Jutra, un peu moins au gala Les Olivier.

Or, voilà qu'il entame une carrière internationale. Vendredi soir, la montée des marches à Cannes a donné une visibilité inattendue au symbole du mouvement étudiant grâce à Xavier Dolan et à toute l'équipe de Laurence Anyways qui, de Melvil Poupaud jusqu'à Nathalie Baye, portaient tous fièrement leur carré rouge made in Cannes. Même le délégué général du festival a été ce soir-là emporté par la vague rouge. Épinglé un peu malgré lui par Xavier Dolan, Thierry Frémaux s'est d'abord assuré que le rouge de son petit carré n'était pas fasciste avant de l'accepter.

Le lendemain, de l'autre côté de l'Atlantique, comble de la consécration, le carré rouge clignotait avec panache sur les poitrines des membres d'Arcade Fire lors de la dernière de la saison de Saturday Night Live. On aurait aimé qu'un des membres d'Arcade Fire ait la même joyeuse insolence que Dolan et épingle le carré rouge sur la poitrine de Mick Jagger, qui chantait avec eux. On s'est consolé avec la chemise rouge de Mick, aussi flamboyante qu'un immense carré rouge assorti aux petits carrés autour de lui.

Aux quelques millions d'Américains abonnés à NBC qui ont été initiés au carré rouge, il faut ajouter le million d'abonnés du compte Twitter du cinéaste Michael Moore qui, à défaut d'avoir un carré rouge sous la main, a envoyé trois tweets en hommage au mouvement étudiant québécois, qu'il a qualifié d'inspirant. Bref, voilà un petit bout d'étoffe qui n'a l'air de rien, mais qui, loin de s'user et de rétrécir au lavage, ne cesse de monter en popularité et de gagner de nouveaux marchés (sic).

La simplicité du symbole et le fait qu'on puisse s'en bricoler un pour trois sous y est pour beaucoup. Simplicité, efficacité, ingéniosité; c'est à croire qu'une armée d'esprits créatifs de Sid Lee ont planché pendant des mois pour accoucher du concept. Il n'en est rien. Le carré rouge est apparu chez nous il y a huit ans. J'ai bien dit chez nous.

En France, le Carré rouge a d'abord été un collectif anticapitaliste, fondé en 1995 par une bande de militants communistes, trotskystes, socialistes et autres «istes». Le collectif publie encore une revue qui a son propre site sous le nom Carré Rouge. Reste que chez nous, le carré rouge a fait son apparition à l'automne 2004 comme un cheval de Troie glissé en douce à l'Assemblée nationale par le Collectif pour un Québec sans pauvreté. Venus protester contre le projet de loi 57 sur l'aide sociale, les membres de la délégation arboraient tous un carré rouge en duct tape comme une grosse lumière rouge visant à freiner une loi qui allait mettre tout le monde dans le rouge. L'année suivante, les étudiants en grève ont pris le relais du carré rouge, mais en abandonnant le duct tape pour un matériau plus créatif. Le reste, comme on dit, appartient à l'Histoire.

Si je n'étais pas journaliste, je porterais volontiers le petit carré rouge. Mais mon métier m'astreint à une certaine impartialité. Alors je porte le carré rouge dans mon coeur. Mais ne le dites à personne. Ou, du moins, dites-le à qui vous voulez, sauf à Christian Bégin.

Des espions me disent que le surnom de Curieux Bégin est désormais Furieux Bégin. Dans une lettre ouverte parue sur le web, l'ex-animateur du gala La Presse (en 2005 et en 2006) accuse le journal de manipulation pernicieuse de l'information, de propagande et d'à peu près tous les maux de la Terre. L'objet de sa furie n'est pas tant le sondage paru samedi que le titre du sondage en première page, coupable, selon lui, de DÉSINFORMATION!

Or, pas besoin d'avoir fait un bac en journalisme (ni même un DEC en interprétation) pour savoir qu'un titre est un titre. Celui de La Presse était brutal et accrocheur, mais il pavait la voie à un long texte de Denis Lessard qui expliquait la méthodologie du sondage en long et en large, et qui faisait tout sauf de la désinformation. Pour une vraie désinformation de qualité, je suggère à l'acteur de s'abonner à la Pravda. Tout comme je lui suggère de lire La Presse au complet et pas que les pages éditoriales. Le cas échéant, il découvrirait que s'il est vrai que certains journalistes de La Presse ne sont pas tendres à l'égard des revendications étudiantes, d'autres comme Rima Elkouri, Michèle Ouimet, Marie-Claude Lortie, Vincent Marissal, Patrick Lagacé et moi-même, à l'occasion, n'ont cessé de prendre fait et cause pour le mouvement. Mais bon, pourquoi laisser les faits gâcher une bonne montée de lait, hein Christian?

En 2004, l'acteur et animateur a créé tout un émoi en accusant les humoristes - lire Stéphane Rousseau - de se prendre pour des acteurs et, par conséquent, de lui piquer des rôles au cinéma. Heureusement, Furieux Bégin a fini par mettre de l'eau dans son vin et par s'excuser. Peut-être en fera-t-il autant la prochaine fois qu'on l'engagera pour animer le gala de La Presse.