C'est Philippe Falardeau, Monsieur Lazhar lui-même en personne, qui a le mieux résumé la chose.

«Ce que font les artistes aujourd'hui, c'est un zoom arrière», m'a-t-il lancé hier matin au milieu de la cohue de l'Espace Libre. Tout autour de nous, dans la salle bondée de la rue Fullum, s'entassaient des figures connues et très diversifiées de la scène culturelle, allant de Guylaine Tremblay jusqu'à Ariane Moffatt en passant par Dominic Champagne, Jean-Marc Vallée, Pierre Curzi, Daniel Boucher, Christian Bégin, Nathalie Gascon, Anne-Marie Cadieux, sans oublier le médecin Alain Vadeboncoeur et l'économiste et prof de sociologie économique à l'UQAM Éric Pineault. Réunis autour d'un manifeste rédigé dans l'urgence et signé par 250 personnalités, les artistes du mouvement Nous sommes ensemble avaient convoqué les médias pour deux raisons.

D'abord sceller publiquement la solidarité des artistes avec le mouvement étudiant «qui a plus que jamais besoin d'appuis», comme l'a lancé Léa Clermont-Dion, une des jeunes organisatrices, mais, surtout, réclamer du gouvernement Charest deux mesures très précises: un moratoire sur la hausse des droits de scolarité et la tenue d'états généraux sur l'éducation supérieure.

Conscients que l'opinion publique est divisée, les artistes espèrent que ceux qui n'appuient pas la hausse seront sensibles à leurs arguments et changeront d'avis quand ils entendront Guylaine Tremblay, Fred Pellerin ou le Dr Vadeboncoeur leur expliquer leur position.

En attendant, ce que les artistes réclament par-dessus tout, se résume à un mot, celui de Philippe Falardeau: zoom arrière, cet effet d'éloignement de l'objectif de la caméra qui permet le recul, la perspective, la distance critique. Bref, qui permet de saisir une problématique dans son ensemble.

Selon les porte-parole des artistes, et tout particulièrement Dominic Champagne, plus déterminé que jamais à mener le combat, le spectaculaire de la rue, empêche ce recul et, ce faisant, occulte ce qui se joue dans les antichambres du pouvoir.

«Les choses sont en train de se passer, qu'on le veuille ou non, et elles profitent à ceux qui sont en train de nous les passer. Il ne faut pas lâcher. Ce n'est pas un show

L'idée que le spectacle des manifestations diffusé soir après soir aux bulletins de nouvelles arrange bien le gouvernement Charest, parce qu'il chasse de l'actualité tous les autres dossiers compromettants n'est pas nouvelle. Idem pour l'idée voulant que le conflit étudiant soit le révélateur d'une crise sociale plus large, qui dépasse le cadre des droits de scolarité et porte sur les valeurs mêmes de la société québécoise. Mais c'est une des rares fois où ces idées sont exprimées aussi haut et fort et servies par des interlocuteurs qui ont la passion et la notoriété comme alliées.

De fait, les artistes se doutent bien que des élections s'en viennent. Ils ne sont pas contre, pour autant qu'un moratoire sur la hausse soit déclaré avant, afin que les élections ne se jouent pas uniquement sur cet enjeu. Pourquoi? «Parce qu'il s'agirait d'un calcul politique cynique de la part d'un gouvernement qui profiterait de la crise pour se faire réélire», répond Dominic Champagne. Gérald Larose, un autre signataire présent hier matin, seconde: «Si Jean Charest a le sens de l'État, il déclarera un moratoire avant les élections. S'il ne le fait pas, c'est qu'il est un petit politicien qui pratique une politique du cynisme absolu.»

À cet égard, les artistes ont au moins une carte gagnante dans leur jeu: la déclaration exagérément outrée de Jean Charest vendredi dernier. À la question d'une journaliste sur d'éventuelles élections portant sur les droits de scolarité, le premier ministre n'a pas hésité à qualifier une telle manoeuvre de grotesque et d'ignoble. Il a chargé tellement fort et avec tant d'ostentation qu'il est aujourd'hui très mal placé pour revenir sur sa position. S'il le fait, il passera pour un homme qui n'a pas de parole et, surtout, il donnera raison à tous ceux qui l'accusent de cynisme politique. Les artistes espèrent ne pas en arriver là. En attendant, convaincus, sinon de leur force, à tout le moins du fait que leur voix porte, les artistes viennent d'entrer dans le débat. C'est une bonne nouvelle pour le mouvement étudiant. Quant à Jean Charest, il devra désormais composer avec un nouveau contre-pouvoir, moins puissant que lui, mais décidément plus populaire.