Le silence est d'or, dit l'adage. Pourtant, ces jours-ci, le silence est plutôt rose. Surtout lorsqu'il s'agit du documentaire-choc de Léa Pool sur l'industrie du ruban rose qui a été lancé hier en salle au Québec et dans tout le Canada.

Même si cela fait à peine 24 heures que L'industrie du ruban rose est à l'affiche, la promotion entourant sa sortie a fait énormément de bruit et soulevé de nombreuses questions sur les organismes, commanditaires, partenaires et porte-parole associés aux collectes de fonds pour lutter contre le cancer du sein. Or, depuis, ceux-ci se murent dans un silence résonnant, en faisant comme si le film, les dérives commerciales et les contradictions dont il fait état, n'existaient pas.

Exception faite d'une lettre signée par Nathalie Leprohon, la présidente de la Fondation du cancer du sein du Québec, qui cherchait à rassurer le public sur la saine gestion des millions amassés lors des marches roses, personne ne commente, ni ne réagit.

Un appel lancé par ma collègue Sylvie St-Jacques à Mitsou et à Geneviève Borne, les porte-parole les plus visibles du ruban rose, s'est buté à un «sans commentaire» laconique et une invitation à s'adresser à la présidente de la Fondation québécoise, la seule qui semble avoir le droit de parler.

À la télé pendant ce temps-là, Pharmaprix (filiale québécoise de Shoppers Drug Mart) a ouvert cette semaine sa période d'inscriptions pour le Week-end pour vaincre les cancers féminins qui se soldera par une grande marche les 25 et 26 août, comme si de rien n'était.

Mais ce silence ne pourra durer. D'abord parce qu'il cache un malaise qui va aller en grandissant à mesure que les contradictions de la culture du ruban rose vont apparaître au grand jour et faire l'objet d'une plus grande médiatisation.

Déjà cette semaine aux États-Unis, Komen for the cure, la plus importante fondation de collecte de fonds de lutte contre le cancer du sein, à l'image aussi puissante qu'irréprochable, a essuyé de vives critiques après avoir coupé les vivres aux centres Planned Parenthood qui viennent en aide aux femmes les plus démunies.

Plutôt que de tenir tête au républicain anti-avortement qui réclame une enquête sur Planned Parenthood, Komen a plié sous les pressions de la droite religieuse, privant des milliers d'Américaines de mammographies gratuites.

La décision a créé un tollé et Komen s'est finalement ravisé en annonçant que la fondation ne coupera plus ses fonds.

Komen, en passant, a récemment conclu un partenariat avec la Fondation canadienne du cancer du sein. Je le souligne parce qu'un des arguments pour réduire la portée de L'industrie du ruban rose, c'est de prétendre que le film décrit la situation aux États-Unis. Pas au Québec ni au Canada. Mais c'est faux. Ce sont les mêmes commanditaires, les mêmes slogans, les mêmes ballons et les mêmes tentes qu'on érige à San Francisco comme à Montréal. Là-bas, comme chez nous, on se sert du ruban rose pour nous vendre de papier de toilette, de l'essence, du poulet frit pourri et des produits de beauté souvent cancérigènes. Là-bas comme chez nous, la maladie des unes fait grimper les profits des autres.

Le grand mérite du film de Léa Pool, c'est d'enfin lever le voile sur une cause qui n'a rien de rose et où les questions gênantes abondent. Des questions comme: pourquoi n'y a-t-il pas une meilleure coordination entre la pléthore de centres de recherche qui vivent du cancer du sein? Pourquoi si peu de fonds alloués à la prévention? Pourquoi l'étude des facteurs environnementaux et chimiques liés à la maladie, passe-t-elle toujours en dernier? Pourquoi on ne meurt pratiquement plus du sida chez nous alors que, bon an, mal an, le cancer du sein continue-t-il de tuer des milliers de femmes? Pourquoi 20 ans et au moins 2 milliards de dollars plus tard, on n'a toujours pas trouvé la cause ni le remède?

Les femmes qui, depuis des années, recueillent des fonds en marchant pour la cause avec leur casquettes et leurs lunettes roses, n'ont pas marché en vain. Elles ont fait ce qu'elles pouvaient, avec courage, générosité et au prix de grands efforts. Le film de Léa Pool ne sonne pas la fin de leur combat ni de leurs marches. Il sonne le début de leur prise de conscience. Que les femmes marchent encore, qu'elles amassent des fonds, mais à partir de maintenant, qu'elles demandent des comptes.

Pour joindre notre chroniqueuse: npetrows@lapresse.ca