Si j'étais prof à Star Académie, lundi matin à la première heure, au lieu de revenir sur le gala et d'enterrer les académiciens sous une montagne soporifique de faux encouragements, je présenterais une vidéo. Celle du passage de la chanteuse pop Lana Del Rey à l'émission Saturday Night Live, le 14 janvier.

Vous ne connaissez pas Lana Del Rey? Normal. Elle n'existait pas il y a à peine quelques mois, sauf pour trois pelés et deux tondus, tendance hipster, tombés par hasard sur un de ses clips soi-disant faits maison et mis en ligne par Lana elle-même - de son vrai nom, Lizzy Grant.

> Le site internet de Lana Del Rey

Les hipsters tout fiers d'avoir découvert la perle rare, en ont immédiatement informés leurs nombreux amis. Résultat: dans le temps de le dire, Video Games, une chanson sombre, lascive et lancinante, sur une fille qui joue à la porn star pour séduire ce qui ressemble à son voisin, est devenue furieusement virale.

Les choses se sont enchaînées très vite. Lauréate du Q Award pour la Next Big Thing - la prochaine grosse affaire - Lana a vu Video Games être reprise et diffusée dans la scène d'une série grand public (Ringer). Elle a fait quelques apparitions à la télé avant d'obtenir la bénédiction royale du magazine Les Inrocks. Au début janvier, sous le titre un brin précoce Naissance d'une icône, le journaliste de cette bible française célébrait son «corps sans âge à l'attraction magnétique», «sa beauté boudeuse et sa moue lippue», comparant Lana aux personnages mystérieux et fascinants des films de David Lynch.

 

Bref, avant même la sortie du CD Born to Die, prévue pour le 30 janvier, Lana Del Rey, était une star. Une star déjà un peu contestée par ses premiers fans qui commencaient à douter de son authenticité et craignaient qu'elle ait été fabriquée en usine par un producteur, mais star tout de même.

D'où l'invitation de Saturday Night Live, animé ce soir-là par une autre jeune star, Daniel Radcliffe, alias Harry Potter. Lana s'est avancée sous les projecteurs, grande et mince comme un fil, ses longs cheveux autrefois blonds maintenant savamment auburn, drapée dans une robe longue en dentelle couleur chair, plus proche du bal de fin d'études de banlieue que d'un baptême branché à la télé. Lana a ouvert son immense bouche à la Julia Roberts, auréolée de lèvres gonflées à l'hélium et... tout s'est écroulé.

Incapable de trouver le bon registre, changeant constamment de tonalité, sa voix folle, erratique et instable. Bougeant comme une poupée mécanique traquée, l'ex-future star s'est liquéfiée sur place devant des millions de téléspectateurs qui ont aussitôt pris d'assaut le web pour la huer et la couvrir d'insultes. «C'est atroce, a écrit une internaute. Cette fille a un besoin urgent de cours de chant et de présence sur scène!»

Atroce, en effet, mais surtout d'une tristesse infinie. Car Lana Del Rey n'est pas entièrement dépourvue de talent. Le grain chaud et rauque de sa voix, quand elle la trouve, a quelque chose de magnétique. Mais de toute évidence, voilà une fille, poussée par ses producteurs ou par son père (un investisseur millionnaire) qui s'est jetée dans la fosse aux lions en toute insouciance et sans formation, croyant sans doute qu'elle pourrait surfer sur son talent, sans comprendre qu'à la longue, l'improvisation finit par mener à l'imposture.

Après avoir été ridiculisée par la planète web, voilà que Lana est accusée d'être une plagiaire. Video Games serait en effet la reprise maquillée et surproduite d'un vieux tube - Dromoi pou agapisa - de la chanteuse grecque Eleni Vitali. Bref, en quelques mois seulement, le conte de fées de la beauté boudeuse est devenue un cauchemar.

Si j'étais prof à Star Académie, je passerais une journée complète à étudier son cas. Tout ce qu'un artiste débutant ne doit pas faire y est. Puis, au lieu d'exhorter les académiciens à espérer qu'un jour ils seront comme Céline Dion, je les encouragerais plutôt à commencer par espérer qu'ils ne deviennent jamais comme Lana Del Rey.

Pour joindre notre chroniqueuse: npetrows@lapresse.ca

 

Photo AFP

Lana Del Rey