Le moment est arrivé. Celui où l'on sort les prothèses, les postiches et les faux nez pour imiter, Paul, Jean, Jacques et leurs amis Pauline, Gérald et Stephen. Le moment où dans les studios et les salles de répétition, on met les bouchées doubles pour accoucher qui d'un Bye Bye, qui d'une spéciale de fin d'année à la sauce Infoman, Zapartiste ou Gérard D Laflaque, qui d'une revue tordue de l'actualité, à la radio avec la bande de À la semaine prochaine ou au théâtre avec celle du Rideau Vert.

Cette année encore, une demi-douzaine de productions différentes se disputeront nos rires à coups de parodies, de caricatures et de versets satiriques. C'est un beau moment de l'année. Un moment où épuisés et en manque de lumière, nous avons tous envie de décrocher, de déconner et de rire de tout ce qui nous fait suer. C'est un moment aussi qui a valeur de rituel et dont la fonction n'est pas seulement de nous divertir. Sous notre rire, il y a une revanche: celle du petit contre le puissant, dans une inversion temporaire, mais ô combien jubilatoire, de l'autorité et du pouvoir! Car en riant des gaffes, des travers ou carrément des magouilles de ceux qui nous gouvernent, nous ne faisons pas que rire. Nous montrons nos dents. Nous nous élevons au-dessus des puissants pour affirmer, temporairement, notre supériorité.

J'ai retrouvé sur le web un mémoire de maîtrise qui décrit bien le phénomène. Sophie Gosselin, de l'UQAM, s'est penchée sur le cas du journaliste québécois Hector Berthelot qui, de 1877 à 1895, s'est servi de l'humour comme instrument journalistique aussi bien pour amuser ses lecteurs que les informer. Dans son introduction, le mémoire fait valoir que l'intérêt historique pour l'humour politique est né - paradoxalement - sous Staline alors que les historiens soviétiques auraient été les premiers à s'intéresser au rire pour son côté «subversif et révolutionnaire.»

Évidemment, nous ne vivons pas sous Staline ni même à l'époque de Hector Berthelot. Aucun de nos humoristes ne risque de se retrouver en prison pour s'être moqué de Jean Charest ou de Stephen Harper. La liberté dont jouissent les satiristes contemporains québécois devrait en principe les rendre plus férocement corrosifs, et surtout plus libres de déboulonner les figures d'autorité de la classe dominante. Pourtant, c'est souvent le contraire qui se produit. Au lieu d'attaquer de front le pouvoir, on se perd en steppettes, en chansons et en parodies d'émissions de télé dont les animateurs ne nous ont rien fait de mal, sauf peut-être nous taper sur les nerfs, ce qui se règle assez vite en changeant de poste.

La revue du Rideau Vert, qui a lancé le bal la semaine dernière, est une belle preuve de ce manque de mordant, signe inquiétant d'une soumission là où il devrait y avoir de la révolte et de la subversion. Je ne parle pas des acteurs de Revue et corrigée, tous plus énergiques et doués les uns que les autres et livrant la prestation qu'on attend d'eux. Je parle plutôt du travail de fond des auteurs de la revue. En principe, cette année, les auteurs devaient mettre la pédale douce aux sempiternelles parodies d'émissions de télé. C'est du moins ce que m'avait juré Michèle Deslauriers, qui signe la mise en scène du spectacle. En pratique, pourtant, les parodies d'émissions sont aussi nombreuses que par le passé. C'est d'autant plus embêtant que la vaste majorité d'entre elles visent des émissions de Radio-Canada. Or, vu les liens étroits et financiers qui unissent le Rideau Vert et Quebecor, impossible de ne pas en déduire que les auteurs ont épargné les émissions du patron (Quebecor) pour mieux attaquer celles de son concurrent. Pas fort.

La guerre commerciale entre deux diffuseurs peut très bien faire l'objet d'un sketch. Là n'est pas la question. Mais une fois qu'on a fait le gag, il est temps de passer à autre chose et surtout, de sortir de la boîte noire et trop facile de la télé. Après tout, il y a 365 jours dans une année. Jamais je ne croirais que les rendez-vous verbomoteurs des Lionnes, les jupes trop courtes de Penelope McQuade ou les flics énervés de 19-2 aient eu une incidence plus marquante sur nos vies que toutes les couleuvres que les gouvernements Charest et Harper ont voulu nous faire avaler.

De plus, cette année, l'actualité n'a jamais été aussi riche avec ses gaz de schiste, ses roches sexy, ses cancres des cours d'immersion, ses constructeurs véreux, ses Colisées calamiteux, ses ministres qui se dédisent, la reine qui fait un come back, Kyoto qui fout le camp et Harper qui se fout de notre gueule. Pourquoi réduire cette année folle et déroutante à une poignée de sketchs qui, malgré le talent de leurs interprètes, ressassent toujours les mêmes clichés?

Mais soyons patients. La saison des revues de fin d'année est encore jeune. Avant de dire bye-bye une dernière fois, nous aurons l'occasion de le dire encore à plusieurs reprises. Et espérons-le, de rire pas juste pour rire, mais pour montrer nos dents.