Cassandre: déesse de la mythologie grecque, fille du roi de Troie et symbole de la lucidité qui se heurte à l'ignorance. Ou encore, Cassandre: nom commun désignant un oiseau de mauvais augure. Ou enfin, Cassandre: nom de plume d'une inconnue, auteure de DSK: Les secrets d'un présidentiable, paru chez Plon au printemps 2010, démoli par la critique française qui n'y a vu que les élucubrations d'une nobody cherchant à se rendre intéressante.

Sur les ondes de France Inter tout dernièrement, Denise Bombardier ne jurait que par ce bouquin, affirmant que Cassandre était la seule à avoir osé révéler que DSK était un prédateur sexuel. «Tout est dans ce livre!», ne cessait de tonner Mme Bombardier en faisant référence au côté prémonitoire du bouquin et de son auteure. Cette bénédiction de Madame B tombait drôlement bien puisqu'après plaintes, poursuites et une perquisition en décembre, Plon vient de réimprimer 8500 nouveaux exemplaires de DSK: Les secrets d'un présidentiable, dont un certain nombre arriveront chez nous, sous peu.

J'ai réussi à mettre la main sur un exemplaire. Premier constat: le livre de la mystérieuse Cassandre est moins accablant que ne le prétend Madame B. À cet égard, je partage davantage l'avis de Tristane Banon, la journaliste qui a révélé chez Ardisson avoir été agressée par DSK. Longtemps, les médias français ont soupçonné Tristane Banon d'être la mystérieuse Cassandre. Pourtant, à la sortie du livre, Banon fut la première à affirmer qu'il n'y avait aucune révélation dans ce bouquin qui n'était rien d'autre qu'un «agrégat de choses connues». Selon elle, Cassandre n'aurait jamais été une collaboratrice de DSK, ni fait partie de son proche entourage.

Remarquez que Cassandre ne prétend pas le contraire. Dès la première page, elle affirme qu'elle occupe une place modeste et qu'elle n'est qu'un tout petit rouage de la gauche. Il n'en demeure pas moins que c'est parfois dans les plus petites choses que les grands hommes se révèlent et se trahissent. Une scène banale relatée dans le bouquin m'a particulièrement frappée. La scène se passe à Paris chez un des stratèges chargés de faire élire DSK à la présidence de la France en 2012. À la fin du dîner, un des membres de la bande à DSK remarque que ce dernier a disparu de la table. Il part à sa recherche et le retrouve dans la cuisine. Que fait DSK? Je vous le donne en mille. Le nez plongé dans un immense saladier, il est en train de se goinfrer de mousse au chocolat. «Il en avait jusqu'aux oreilles, note le collaborateur. Il a levé la tête avec l'air d'un gosse pris en faute. C'était trop drôle!»

Difficile de ne pas voir dans cette scène anodine la métaphore d'un homme gourmand, jouisseur et compulsif, qui maîtrise mal ses appétits, fussent-ils alimentaires ou sexuels.

Dans un autre passage du livre portant sur la nomination de DSK à la présidence du FMI après moult magouilles et manoeuvres et contre la volonté même du président Sarkozy qui a prétendu le contraire, DSK paie une dernière visite de courtoisie à l'Élysée. Le président le reçoit et, sur un ton complice, lui lance: «Tu comprends, là-bas (aux USA) ça ne rigole pas. Alors, de grâce, évite de prendre l'ascenseur seul avec une stagiaire ou un truc du genre. La France ne peut pas se permettre un scandale.» Si seulement Sarko avait su...

Dans un autre savoureux passage, Cassandre explique que la bande à DSK travaille main dans la main avec les filiales du groupe Lagardère, qui publie notamment Paris Match, un magazine qu'elle qualifie de «doudou qui nous réconforte quand tout va mal». Ces propos prennent tout leur sens quand on lit le Paris Match du 26 mai qui nous informe du scénario idéal élaboré par la défense de DSK. Selon ce scénario tout à fait délirant rapporté le plus sérieusement du monde par Paris Match, DSK et la femme de chambre se seraient croisés et «cruisés» dans les couloirs du Sofitel avant de se donner un rendez-vous sexuel dans la douche. Après une fellation torride et totalement consentie, la femme de chambre, tenez-vous bien... en redemande! La suite est un poème. Comme DSK refuse de la satisfaire, la femme de chambre, et je cite, «s'énerve, explose de colère, crache par terre puis, furieuse, menace de le faire chanter». Pas de doute possible: Paris Match n'est pas seulement une doudou qui réconforte. C'est du bouillon de poulet pour les imbéciles.

Cassandre raconte que les frasques sexuelles de DSK alimentaient les dîners chics à Paris depuis longtemps, que des photos de lui dans un club échangiste existaient bel et bien même si personne n'a osé les publier et que sa tendre et riche épouse, l'ex-animatrice Anne Sinclair, s'appliquait à fermer les yeux sur les écarts de conduite de son chaud lapin de mari. «Mais au moment de sa nomination au FMI, on croyait sincèrement que DSK était passé à autre chose», ajoute Cassandre, preuve que tout prophète de malheur qu'elle soit, l'imagination lui a manqué pour prédire la chute fatale de DSK dans la suite 2806 du Sofitel.

Parmi toutes les confidences de Cassandre, j'en retiens une dernière, lancée au tout début du bouquin. Dominique Strauss-Kahn ne sera jamais président de la République, écrit Cassandre avant d'ajouter: «Et vous savez pourquoi? Parce qu'il ne se présentera pas.» Autant dire que, cette fois-là, l'oiseau de mauvais augure a visé dans le mille.

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