De quoi on parle? C'est la question que je me pose depuis que Le Devoir a publié lundi un texte assez misogyne merci, qui dénonce la madamisation des médias. À la manière du tireur fou qui vise sur tout ce qui bouge, le chroniqueur Stéphane Baillargeon s'en prend aux émissions de Clodine et compagnie à la télé, à celles de Dominique Poirier, l'après-midi à la radio de Radio-Canada, aux magazines féminins, pâles ersatz de la vénérable Madame au foyer dont il semble s'ennuyer, varlopant au passage les journaux qui se madamisent ou se matantifient à travers leurs cahiers sur la déco, la consommation, la rénovation et j'en passe. Baillargeon n'épargne personne, sauf, bien sûr, le cahier Plaisirs du Devoir, preuve qu'à défaut de pouvoir cracher dans sa propre soupe, mieux vaut cracher dans celle des autres.

Aussi divertissant qu'il soit, ce texte serait passé inaperçu si Marie-France Bazzo n'avait pas pris le flambeau, pour ne pas dire le lance-flammes, et décrété un débat national sur la question, d'abord sur le réseau Twitter, puis hier matin chez Paul Arcand. «La madamisation a envahi toutes les sphères d'une société pognée et vieillissante», a-t-elle déclaré, élargissant un débat essentiellement médiatique et à la limite corporatif à TOUTE la société québécoise qui, à ses yeux, semble avoir le dos aussi large qu'une barge ou qu'une flotte de camions de déneigement.

De quoi on parle? De la télé de Clodine ou du Québec de Pauline? Je préfère m'en tenir au monde de Clodine et de ses amies lionnes, tigresses et cougars. Or, selon Le Devoir, les émissions de ces «néodames patronesses» sont inutiles, futiles, niaiseries de petites bourgeoises nombrilistes et déconnectées, qui polluent le paysage médiatique québécois et l'empêchent d'évoluer. Le message est clair: tasse-toi matante et laisse les vrais hommes sérieux, profonds et intellectuellement supérieurs prendre le micro et l'antenne. Amen.

Même si je ne suis pas une abonnée des émissions dites féminines parce que je suis au travail pendant leur diffusion, je trouve qu'elles remplissent plusieurs fonctions essentielles. D'abord, elles occupent les cases creuses de l'horaire et nous permettent de regarder autre chose qu'un poisson rouge figé dans un aquarium. Elles ont aussi le mérite d'aborder un vaste éventail de sujets, allant de l'éducation des enfants à la meilleure laque moussante sur le marché, en passant par le dernier Marie Laberge. Ces émissions s'abreuvent à une armada de recherchistes, généralement curieuses et diplômées, qui nous ouvrent les portes d'un monde quotidien et pratico-pratique qui ne vole pas toujours très haut, c'est vrai. Mais qu'on le veuille ou non, c'est le monde dans lequel on vit. C'est sûr que si TVA avait vraiment à coeur l'élévation intellectuelle de son public, le réseau pourrait toujours remplacer Deux filles le matin par «Deux experts de la Chaire Raoul-Dandurand le matin», ou Tout simplement Clodine par «Tout simplement Sami (Aoun)» qui, chaque matin, nous mitonnerait une recette sur comment comprendre le conflit des idéologies au Moyen-Orient. Manque de chance, c'est le créneau de RDI.

Ce qui m'amène à un deuxième point: on a beau clamer que la matantisation a envahi l'espace médiatique, les statistiques compilées par la firme Influence Communication démontrent précisément le contraire. D'ailleurs, si avant d'écrire son papier, Baillargeon avait consulté ces statisticiens au lieu de le faire en catastrophe hier pour donner du poids à sa crise d'urticaire, il aurait appris que l'espace médiatique québécois continue d'être largement dominé par des sujets dits masculins et que les mononcles y sont toujours rois. Les sports sont champions avec 19,48 %. Les faits divers à la Claude Poirier suivent avec 12,33 %, la politique provinciale avec 10,16 %, les nouvelles locales avec 9,41% et l'économie avec 6,37 %. Quant à la madamisation, elle survit grâce à la cuisine (3,64%) et pas vraiment avec les sujets lifestyles qui n'occupent que 0,4 % de l'espace médiatique.

J'espère que ces chiffres froids, mais éloquents convaincront Marie-France Bazzo que ce n'est pas vrai que la télé québécoise nous sert toujours «le même sirop de matante». Pour ce qui est de cette télé trop tranquille qu'elle a dénoncée à la radio publique puis chez Arcand, j'aimerais lui rappeler que la télé n'est pas la Libye. La télé ne fabrique pas des bombes. Elle est un outil de contrôle social qui fabrique du consensus et qui parfois en invente, comme en Libye. La tranquillité, c'est la nature de la bête. Pas juste chez nous. Partout dans le monde. Syntonisez n'importe quel poste dans n'importe quel pays, et hormis les chaînes de porno ou de combats extrêmes, c'est la même poutine que l'on retrouve partout, avec plus ou moins d'humour et de téléromans, plus ou moins de parlotte, quelques débats enflammés, beaucoup de vedettes municipales, peu d'émissions littéraires et en fin de compte, rien de bien révolutionnaire.

Quant aux matantes, j'imagine qu'elles existent partout dans le monde. Tout comme les petits mononcles qui veulent les tasser.