Les uns ont pris le bus en direction du Parlement canadien à Ottawa pour défendre leurs droits d'auteurs et leurs redevances. Les autres ont pris l'autoroute de l'information et la sortie sur YouTube pour défendre le sous-sol québécois et ultimement l'avenir de leurs enfants.

Au total, quelque 120 artistes québécois, issus du milieu de la musique comme celui du théâtre, de la télé et du cinéma, sont sortis de leur tanière cette semaine pour protester.

Les uns mené par Luc Plamondon et Marie Denise Pelletier s'opposent à la loi C-32 du gouvernement Harper visant à adapter le droit d'auteur à l'environnement numérique. Les autres avec à leur tête Dominic Champagne, tentent de convaincre le gouvernement Charest d'imposer un moratoire sur le gaz de schiste.

On n'avait pas vu une telle mobilisation du milieu artistique québécois depuis des lustres. Un peu plus et on annonçait le retour des années de braise, des années devenues par la force de l'actualité et en raison de leur aspect hautement inflammable, les années de schiste.

Personnellement, je me réjouis toujours de voir des artistes descendre de leur Olympe et quitter le confort de leur studio ou de leur limo pour descendre dans la rue au nom de leurs droits et de ceux de leurs concitoyens.

Je m'en réjouis mais je ne me fais pas trop d'illusions. La victoire n'est jamais assurée et d'autant qu'elle est rarement une affaire de droit, de justice ou de raison. C'est une affaire de timing, de contexte, de climat social et de calcul politique. Et à cet égard, la coalition des artistes pour le moratoire sur l'exploitation gaz de schiste a nettement plus de chances que leurs amis auteurs-compositeurs-interprètes.

Si ma mémoire ne me fait pas défaut, la dernière fois qu'une coalition d'artistes a pris un bus pour Ottawa c'était au nom du cinéma québécois il y a quatre ans. La délégation menée par la productrice Denise Robert réclamait un fonds spécial de 20 millions pour le cinéma québécois à Bev Oda, la ministre du Patrimoine de l'époque. Or, non seulement la ministre n'a pas consenti le moindre dollar supplémentaire mais c'est la ministre du Québec, Line Beauchamp, qui a été obligée de cracher 10 millions pour régler la crise du cinéma.

Cette fois-ci, la cause des artistes est nettement plus complexe. D'abord les musiciens et compositeurs s'attaquent à un projet de loi fédéral qui n'est pas coulé dans le béton mais presque. Ils ne demandent pas un simple chèque de quelques millions. Ils demandent une transformation radicale des mentalités: celle des fabricants d'iPod et de MP3 comme celle des fournisseurs de services internet. Et comme si cela ne suffisait pas, ils veulent convaincre le gouvernement conservateur de sévir contre ses alliés de l'entreprise privée en les obligeant à partager avec les artistes les profits faramineux qu'ils font grâce au téléchargement.

Si le passé est garant de l'avenir, je ne vois vraiment pas comment ce gouvernement qui ne porte déjà pas les artistes dans son coeur, pourrait lever le moindre petit doigt en la faveur de Luc Plamondon et de ses amis musiciens et compositeurs.

Je ne dis pas que le gouvernement a raison de priver les artistes des redevances qu'ils réclament. Il a tort mais malheureusement c'est lui qui est au pouvoir.

Du côté de la bande du schiste qui a décidé d'attaquer par une vidéo diffusée sur YouTube réunissant une belle brochette d'acteurs allant de Fred Pellerin à Anne Dorval en passant par Roy Dupuis, une lueur d'espoir est permise. D'abord, leur porte-parole Dominic Champagne a eu la bonne idée, avant de lancer sa vidéo, de préparer le terrain en faisant le tour des tribunes. Or derrière un micro, Champagne est un interlocuteur brillant, qui parle à la fois avec clarté, intelligence et passion. Difficile de résister à ses arguments.

Puis au lieu de choisir la confrontation bête et méchante et le refus net et catégorique du gaz de schiste, lui et sa bande ont choisi la modération. Ils ont demandé un moratoire au lieu de demander l'impossible. Résultat: la ministre Normandeau a appelé personnellement Dominic Champagne pour lui signaler qu'elle était sensible à sa cause. Elle aurait pu ajouter que sa plus grande peur était sans doute que le dossier du gaz de schiste dégénère comme le projet avorté du Suroît. Ce n'était pas nécessaire. Tout le monde avait compris.

Et comme un bonheur n'arrive jamais seul: le Parti québécois a remporté l'élection partielle dans Kamouraska, fragilisant encore plus le gouvernement de Jean Charest.

Bref dans le contexte politique québécois actuel, disons que le gouvernement Charest a tout intérêt à se montrer ouvert aux revendications d'une vingtaine d'artistes québécois sympathiques et raisonnables. Quant à Stephen Harper, on sait où logent ses sympathies: dans le roc dur de l'idéologie conservatrice, là où fleurissent les années de schiste.