Je déteste la littérature d'horreur autant que le cinéma d'horreur. Dès qu'il y a une scène le moindrement dégueu au cinéma, je ferme les yeux, je me bouche les oreilles, je grince des dents et je ratatine sur mon siège. Même au musée, le cadre et la distance m'aident à peine à supporter un tableau sanguinolent d'Otto Dix ou de Goya. Bref, l'horreur me fait horreur. Pourtant malgré mon aversion, mon dégoût et ma peur, jamais il ne me viendrait à l'idée de vouloir interdire ce genre qui a ses maîtres et ses adeptes depuis plus d'un siècle.

Jamais non plus je ne voudrais vivre dans une ville où les policiers sont trop cons pour faire la différence entre la réalité et la fiction en horreur. C'est pourtant arrivé à Montréal avec un maquilleur de 33 ans, spécialiste du gore, qui a collaboré aux effets spéciaux des personnages de La Momie 3 et de Deathrace.

L'an dernier, alertés par un flic énervé d'Interpol, des policiers du SPVM ont arrêté Rémy Couture chez lui, l'ont menotté et embarqué avant de saisir son matériel et de fermer son site hébergé par le serveur californien Lunarpages. Tout cela à cause de deux courts métrages d'horreur qu'il a réalisés et qui étaient affichés sur son site depuis 2005 pour faire mousser son nom et ses talents de maquilleur.

Le 13 octobre, Rémy Couture devra comparaître au palais de justice de Montréal pour répondre à des accusations de production de matériel obscène et violent. J'ai cherché en vain dans le Code criminel s'il y avait un précédent et une jurisprudence entourant la production de matériel d'horreur obscène. Je n'en ai pas trouvé. L'avocat de Rémy Couture non plus. Habituellement, les accusations d'obscénité visent des oeuvres pornographiques. Mais il n'y a que quelques brèves scènes de nudité dans les courts de Rémy Couture. Pour le reste, c'est de l'horreur dans son plus sanglant apparat avec un tueur en série nécrophile et en folie, qui tue, démembre et «défuntifise» ses victimes.

Oui, je sais, ce n'est pas très joli ni très ragoûtant, mais en quoi est-ce différent de la production courante en vente libre dans les clubs vidéo ou à l'affiche au cinéma? Jamais on ne me fera croire que les deux courts de Rémy Couture réalisés avec les moyens du bord sont plus violents, effrayants et obscènes que la série de films Saw, ou que Hostel, qualifié de film tordu, malade et délicieusement dégoûtant par Quentin Tarantino, son producteur.

Je le répète: je n'aime pas l'horreur, mais c'est un genre légitime qui a ses passionnés, ses adeptes et ses auteurs. Parmi ceux-là, certains sont des maîtres, d'autres des amateurs, mais c'est au public et pas à la police de juger de la qualité de leur travail.

Déjà, plusieurs auteurs, techniciens de cinéma et cinéastes, dont Robert Morin, ont dénoncé l'atteinte à la liberté d'expression dont ce créateur a été victime. Je les seconde d'autant plus que Rémy Couture, à qui j'ai parlé brièvement, n'a pas l'air d'être un maniaque ni un détraqué qui rêve de trucider tous les habitants de la planète. C'est un gars qui trippe gore comme d'autres trippent golf ou hockey.

En visitant l'exposition d'Otto Dix au Musée des beaux-arts de Montréal, cette semaine, j'ai beaucoup pensé à Rémy Couture. La série de dessins de soldats défigurés par la guerre, leurs tripes arrachées et répandues dans les tranchées, sont aussi insoutenables à regarder que les maquillages en latex sanguinolents de Rémy Couture. Mais ce qui est encore plus difficile à regarder, ce sont les paysages ternes et morts qu'Otto Dix a peints après avoir été réduit au silence par le régime nazi. Je n'aime pas l'horreur, mais je la préfère mille fois à la morale de la répression.

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