Loto-Québec et Les belles-soeurs sont nés presque en même temps, il y a 40 ans. Pour célébrer ce double anniversaire, le plus riche des deux a décidé de faire un cadeau au plus pauvre.

À la fois pour la création et pour la diffusion de cette magnifique production présentée à guichets fermés au Théâtre d'Aujourd'hui et que l'on retrouvera à Joliette cet été, Loto-Québec versera en tout environ 600 000$ au cours des trois prochaines années.On n'a pas toujours envie de féliciter Loto-Québec, surtout quand ses publicités s'insinuent dans notre quotidien pour nous inciter à carburer aux jeux du hasard. Mais dans ce cas-ci, impossible de trouver quoi que ce soit à redire.

Le lien entre Les belles-soeurs et Loto-Québec est pour ainsi dire naturel. Les colleuses de timbres de Michel Tremblay sont les ancêtres des joueuses de loterie vidéo d'aujourd'hui. D'un côté comme de l'autre, on cherche à s'évader de la platitude de son quotidien en rêvant de gagner un improbable gros lot. Et comme Les belles-soeurs, malgré sa drôlerie et sa truculence, est une pièce tragique qui montre la misère sociale, économique et affective qui mène au jeu, on ne pourra pas accuser Loto-Québec de se servir de la pièce pour faire l'apologie du jeu.

Bref, une belle association qui, de plus, a l'avantage de libérer d'un immense poids le ministère de la Culture et le Conseil des arts et des lettres du Québec. Car lorsque Loto-Québec verse plus d'un demi-million pour célébrer un monument de notre patrimoine théâtral, c'est plus d'un demi-million que le ministère de la Culture n'aura pas à sortir de ses coffres.

Cette semaine, cette logique a atteint un nouveau sommet grâce au budget Bachand. Une disposition du budget fait en sorte que Loto-Québec se substituera carrément au gouvernement pour accorder une aide de 10 millions cette année et de 8,5 millions les années subséquentes à l'OSM.

Évidemment, sur le coup, difficile de ne pas se réjouir pour l'OSM. Difficile aussi de blâmer Loto-Québec de vouloir redorer son blason en s'associant à une marque aussi prestigieuse. De fait, le problème, dans ce cas-ci, n'est pas tant Loto-Québec que le gouvernement.

Car un gouvernement qui compte sur la loterie et les casinos pour financer son plus grand orchestre symphonique est un gouvernement qui se désengage culturellement et qui met en vente des pans de sa mission et de sa politique culturelle.

Pour l'instant, on ignore si ce désengagement est temporaire ou permanent. Dans le brouhaha du budget Bachand, personne ne se soucie trop du sort de l'OSM. Mais il est difficile d'imaginer que le gouvernement ait adopté cette mesure s'il n'avait pas une idée de désengagement derrière la tête. Si c'est le cas, c'est une mauvaise idée et, à la limite, une idée dangereuse.

Car si jamais l'OSM en vient à dépendre uniquement de Loto-Québec, qu'arrivera-t-il le jour où, pour une raison ou une autre, Loto-Québec voudra se dissocier de l'Orchestre, prendre ses distances d'un chef qui ne fait pas son affaire ou investir son argent dans un organisme plus rentable? Qu'arrivera-t-il du côté du MAC quand les sommes autrefois consenties à l'OSM auront été réinvesties ailleurs et ne seront plus disponibles?

Envoyer une partie des profits de Loto-Québec dans les coffres du MAC est une chose. Déléguer à Loto-Québec la mission d'entretenir un orchestre symphonique en est une autre qui demande des explications.

N'en déplaise au ministre Bachand, la culture n'est pas une loterie, ni un bingo. Pour s'épanouir, elle peut s'en remettre à bien des choses, mais certainement pas au hasard.