La nouvelle est tombée lundi et a créé une onde de choc dans le milieu du cinéma québécois. À 64 ans, après une carrière féconde de producteur et une impeccable feuille de route de réalisateur humaniste et engagé, Marcel Simard s'est enlevé la vie dans sa maison de campagne la semaine dernière.

Ceux qui connaissaient intimement Marcel Simard savaient que cet homme de coeur était fragile, parfois aussi changeant que le temps, et qu'il n'était pas rare que les grands enthousiasmes contagieux qui le rendaient si attachant se muent en douloureux accès de dépression.

Ceux qui le connaissaient savaient aussi que depuis plusieurs mois, Marcel Simard se battait âprement pour sauver son entreprise Virage de la faillite. Or il avait bien raison de vouloir sauver de la ruine une magnifique petite mine de diamants qui, pendant 25 ans, nous a abreuvés de dizaines de documentaires socialement pertinents comme À hauteur d'homme et Des marelles et des petites filles, mais aussi Un jeu d'enfant, Maxim, McDuff & McDo, Que se passe-t-il avec nos garçons? ou La femme qui ne se voyait plus aller. Autant d'oeuvres qui ont, à coup sûr, aidé la société québécoise à avancer et à mieux saisir certains enjeux.

La société Spectra lui avait donné un coup de main en 2009 en l'accueillant dans ses locaux et en formant avec lui une nouvelle entité, Spectra Virage Media, sans pour autant racheter ses dettes qui s'élevaient à 1,3 million. Qu'à cela ne tienne.

Afin de fermer Virage honorablement, Marcel a vendu sa maison de l'avenue Champagneur à Outremont. De peine et de misère, comme l'écrit la réalisatrice Marquise Lepage dans une lettre ouverte, il a réussi à rembourser tous les individus - techniciens, réalisateurs et attachés de presse - à qui il devait de l'argent, en répétant à tous ceux qui s'inquiétaient de son sort qu'il allait s'en sortir.

Mais il y a trois semaines, ses plus importants créanciers, notamment Technicolor et la Banque Royale, à qui Virage devait au-delà de 800 000 $, ont perdu patience. Marcel Simard a été obligé de déclarer faillite, ce qui n'est jamais facile pour un homme de 64 ans reconnu pour son intégrité et qui n'a jamais travaillé pour la gloire et l'argent, mais pour l'avancement des êtres humains. Une fois de plus, Marcel a relevé la tête et est allé au front. L'assemblée des créanciers a eu lieu le 3 mars dernier. Marcel s'y est présenté seul, sans avocat ni comptable, convaincu que les créanciers compatiraient avec lui et comprendraient qu'il n'était pas un irresponsable et qu'il finirait bien par honorer toutes ses dettes.

Ce fut sa seule erreur. Les créanciers se sont montrés froids, durs et sans pitié, a-t-il par la suite raconté. Certains lui ont posé des questions comptables pointues auxquelles il a été incapable de répondre. Marcel Simard est sorti anéanti de cette assemblée humiliante. Deux jours plus tard, il s'est enlevé la vie: un triste gâchis qui, s'il devenait un film, pourrait s'intituler On achève bien les cinéastes.

Dans sa lettre ouverte, la cinéaste Marquise Lepage évoque avec raison ce qui a conduit son ami Marcel Simard à sa perte: la dépression bien sûr, mais aussi un modèle économique basé sur le commerce plutôt que le contenu, adopté par les télés et les institutions cinématographiques, qui rend le financement des documentaires d'auteur de plus en plus ardu et compromet leur développement et leur avenir.

Marquise Lepage demande aussi avec raison comment Téléfilm Canada et la SODEC ont pu laisser une entreprise comme Virage, avec son catalogue d'une centaine de films, dont plusieurs connus, reconnus et primés, couler sans lever le petit doigt ni offrir à son fondateur un minimum de soutien.

Parti en laissant une courte lettre d'adieu que sa compagne Monique Simard a lue lors d'une cérémonie intime, Marcel Simard manquera à bien des gens. Il manquera surtout au cinéma québécois qui, en ces temps durs et comptables, a plus que jamais besoin d'hommes de coeur et de convictions comme Marcel Simard.