Si l'expression ne venait pas de l'anglais, je dirais du lip dub de l'aile jeunesse de l'UMP, le parti de Nicolas Sarkozy, qu'il est pathétique. Mais pitoyable est plus juste pour décrire la soupe navrante et faussement jovialiste de ce lip dub lancé sur le web en France la semaine dernière et qui met en vedette des militants UMP et les ministres du Travail, de l'Immigration et de l'Économie, qui miment avec la raideur mécanique des robots, les paroles de Tous ceux qui veulent changer le monde, une chanson signée Luc Plamondon.

C'est Jean-François Lisée qui signalait la chose dans son blogue hier en déplorant que Plamondon n'ait jamais donné son aval à ce détournement musical et politique. Le camarade Lisée se trompe sur ce dernier point.

De fait, l'éditeur français Georges Mary, avec l'accord de Luc Plamondon et du compositeur Christian St-Roch, a gracieusement accordé aux jeunesses populaires de l'UMP, pour une durée d'un an, les droits d'utilisation de la chanson.

«Nous avons été sensibles à la proposition des jeunes qui était de réaliser un clip rassembleur, hors de tout cliché et réunissant tous les horizons politiques. Mais à aucun moment n'avons-nous été informés que les ministres allaient chanter ni que l'UMP utiliserait l'enregistrement de Musicor à son insu», m'a affirmé depuis la France, l'éditeur un brin consterné.

En réalité, l'UMP a demandé à Musicor la libération des droits sur l'enregistrement de la chanson interprétée par Marie Mai et Martin Giroux en octobre dernier. Musicor a refusé en raison de la nature partisane du projet. Qu'à cela ne tienne, l'UMP a décidé de procéder au piratage de l'enregistrement. Quand la porte est fermée, pourquoi ne pas la défoncer? Mis devant le fait accompli, Musicor a envoyé une mise en demeure sommant l'UMP de retirer le lip dub. Hier, les deux partis négociaient une forme de dédommagement qui sera versé à une oeuvre de charité choisie par Marie-Mai.

Reste qu'au-delà de l'illégalité de la chose, l'aspect le plus remarquable de ce lip dub, c'est sa nullité consternante. Et sachez que je ne suis pas la première à utiliser ces mots-là. L'autre soir en direct de la télé française, l'ex-ministre de l'Éducation, Luc Ferry, s'est écrié : «Non ce n'est pas vrai, vous me faites une blague ? Ils n'ont pas fait un truc aussi nul!» Eh oui, M. Ferry.

D'entrée de jeu, le lip dub de l'UMP nous annonce que le pire risque est de ne pas en prendre, une citation pour le moins dangereuse et qui a déjà produit une contre-citation : le pire risque c'est de les reprendre... Sous-entendu, la bande à Sarkozy.

Dès la première image, on nage en plein cliché avec un iPhone où apparaît un texto en forme de question. Tu nous rejoins? À quoi on a envie de répondre : Où ça? En enfer?

Et nous voilà partis en galère, à la gare puis dans le wagon d'un train où un jeune type à l'air bovin marmonne quelque chose à une jeune sarkoziste excitée qui lui lance : «Mais pas du tout, tu vas voir !» Levant son bras avec le naturel d'une momie, elle indique du doigt trois poireaux plantés dans le décor, qui entonnent en sautillant les premières paroles de Tous ceux qui veulent changer le monde.

Après quoi, on se retrouve devant la tour Eiffel, dans un champ de vaches, dans un parc avec une Rachida Dati déguisée en meneuse de claque anorexique puis avec un Jean-Pierre Raffarin dubitatif au pied d'un arbre, bref à mille endroits en même temps.

Corrigez-moi si je me trompe, mais la loi tacite du lip dub commande habituellement un plan-séquence, de même qu'une organisation et une synchronisation quasi militaire afin que tous les bons éléments entrent au bon moment dans le champ de vision d'une caméra qui fonce comme un train dans la nuit.

Bref, au-delà de son aspect joyeux et ludique, le lip dub, qui doit se dérouler selon une unité de temps et de lieu, présente un défi technique de taille. Du moins pour l'ensemble de l'humanité sauf pour les jeunes de l'UMP. Ces derniers ont en effet remplacé le précieux plan-séquence, si difficile à réussir, par un montage pépère, paresseux et partisan du moindre effort, preuve que si les lois du genre existent, les jeunes de l'UMP estiment qu'elles sont faites pour être contournées.

Quand on a vu la série de lip dub pétillants, débordants d'humour et rythmés que le Québec a produits au cours des derniers mois, ceux des étudiants de l'UQAM, des HEC, du département d'art et technologie des médias du cégep de Jonquière, celui du réseau NJR de Québec à la gloire de son «good, good maire Labeaume» et celui de l'hôpital du Sacré-Coeur de Montréal où une armée d'infirmières, de faux patients et de vrais médecins s'éclatent dans les couloirs sur la chanson de Un jour, un jour de Donald Lautrec, on se dit que les jeunes de l'UMP et leurs ministres, sont, soit des sous-doués, soit des gens coincés, atteints à la fois de jeunisme aigu et de sénilité précoce.

Chose certaine, à leur place, je ferais peut-être encore de la politique, mais laisserais à Carla Bruni Sarkozy la musique et les chansons.