C'est une dictature féroce et impitoyable. Elle frappe les femmes de plus en plus tôt, et de plus en plus d'hommes aussi. Elle exige de ses sujets qu'ils soient beaux, minces, lisses, sans défauts et éternellement jeunes. Le cas échéant, elle leur impose une course à obstacles dans la maison des miroirs déformants, une course infernale contre le temps et ses outrages.

Son instrument de prédilection dans sa forme la plus simple et la plus pure se résume en un mot : bistouri.Aujourd'hui, la question, quand on est une femme de 20 comme de 50 ans, n'est plus de savoir si on va oui ou non, passer sous le bistouri (ou encore se faire injecter botox ou collagène) pour corriger cette vilaine ride, resserrer cette peau flasque et disgracieuse, dompter cette culotte de cheval, augmenter cette poitrine famélique. Non. La question c'est comment pourrait-on l'éviter ? Comment l'éviter alors que la soeur, la mère, la cousine, la coiffeuse, la vendeuse, la dentiste et la pâtissière, ont cassé leur tirelire, hypothéqué leur logement et se sont endettées à vie afin de joindre les rangs de l'armée de l'insatisfaction féminine chronique qui fait prospérer les cliniques de chirurgie esthétique.

En même temps, pourquoi y résister quand c'est si facile et accessible ? Pourquoi dire non quand toutes ces femmes de rêve dans les magazines, toutes ces stars d'Hollywood, ces divas de la pop, ces mannequins magnifiques et ces actrices de Cannes, le font. Pourquoi elles et pas nous ? Pourquoi n'aurions-nous pas le droit d'être aussi jeunes et belles qu'elles ? Pourquoi devrait-on subir l'affront d'avoir l'air de notre âge quand la voisine ou la collègue de bureau qui sont pourtant nées la même année que nous, semblent 10 ans plus jeunes et nous font une concurrence déloyale ? Pourquoi en effet.

Il y a 12 ans, j'ai signé une série de chroniques dans La Presse sur la chirurgie esthétique.

Le phénomène était déjà très répandu autant chez la cadre dynamique, la ménagère que l'adolescente. J'avais même rencontré une fileuse d'usine de 68 ans qui venait de se payer une lasabrasion. La différence entre hier et aujourd'hui, c'est l'intensité de la pression sociale. Jamais la pression pour corriger son apparence n'a été aussi forte qu'aujourd'hui. Jamais les femmes n'ont autant couru après un idéal d'elles-mêmes qu'elles n'atteindront pas, pour la plupart. Jamais elles ne se sont autant endettées et parfois aussi, défigurées.

La dictature du bistouri est puissante. Pour y résister, il faut s'accepter telle qu'on est, telle que la nature nous a faite et défaite. Pour y résister, il faut s'aimer beaucoup. La plupart des femmes en sont malheureusement incapables.