Il fut un temps au Québec où tout commençait par un Q et finissait par un bec, du moins si l'on en croit les paroles d'Entre deux joints, écrites par Pierre Bourgault. Eh bien, n'en déplaise à Bourgault, lundi soir à Montréal, à l'occasion de l'inauguration officielle de la place des Festivals, rue Jeanne-Mance, le bec citoyen, créateur et collectif, que tous se sont donné, ne marquait pas une fin mais bien le début de quelque chose comme une histoire d'amour entre les Montréalais et leur nouvelle place.

Le spectacle inaugural, conçu par Danielle Roy, est en grande partie responsable de la magie de cette soirée, de même que la météo extraordinairement douce et clémente qui nous a offert une des plus belles nuits de tout l'été.

Pour ce qui est de Danielle Roy, rappelons qu'elle est la conjointe de Gilbert Rozon et l'instigatrice du Grand Charivari de Juste pour Rire, un défilé carnavalesque qui rêve de rivaliser avec ceux de Rio ou de Venise. C'est aussi la conceptrice de l'opéra urbain qui devait être la pièce de résistance des festivités du 400e de Québec avant qu'elle ne soit cavalièrement virée par les organisateurs sous prétexte que son projet était un fouillis total.

Chose certaine, lundi soir à la Place des Festivals, le Grand baiser que Roy et le metteur en scène Erik Villeneuve ont proposé aux Montréalais, grâce à un investissement de 500 000$ de la Ville de Montréal, fut tout sauf un fouillis. Pour tout dire, le Grand baiser m'est apparu comme un spectacle parfaitement montréalais par la poésie qui s'en dégageait, par l'ouverture d'esprit qu'on y prônait et par la participation citoyenne de centaines de jeunes bénévoles qui ont rendu hommage avec fougue et enthousiasme à l'art et à la création.

Depuis le premier tableau mettant en scène un pierrot lunaire assis sur un piano et littéralement propulsé 20 pieds dans les airs par les jets d'eau des fontaines, jusqu'au couple d'amoureux dansant gracieusement dans le ciel de Montréal contre la silhouette des édifices, en passant par la courte mais touchante prestation de la déesse de Montréal, Diane Dufresne, ce spectacle a su merveilleusement mettre en valeur aussi bien la place des Festivals que le quartier qu'elle doit faire renaître.

Pour une fois, en plus, la place avait été dégagée et transformée en immense scène autour de laquelle on avait rassemblé le public. Cette configuration avait le défaut d'offrir aux spectateurs qui n'étaient pas en première ligne, une vue partielle ou carrément bloquée. L'avantage c'est que cette scène immense a permis des jeux d'eau et de lumières fabuleux ainsi que le déploiement de sept tableaux ambulants réalisés avec une armée de bénévoles issus de sept arrondissements montréalais et qui, à tour de rôle, ont pu exploiter les 7500 m2 de la place.

Le tableau le plus étonnant et le plus touchant à mes yeux fut celui mettant en vedette une vingtaine de rappers de Montréal-Nord entonnant On est tous égaux et suivis par une voiture de police de police criblée de graffitis signés Zilon. De temps à autre, des échassiers déguisés en squeegees se précipitaient sur l'auto-patrouille pour en laver ses vitres et saluer les deux authentiques patrouilleurs à l'intérieur, comme un ultime clin d'oeil à cette ville que l'on veut ouverte et tolérante même si ce n'est pas toujours la réalité.

Mené par ces hordes de jeunes débordant de créativité, illuminé par les jeux d'éclairages subtils du maître de la lumière Alain Lortie et bercé par une magnifique trame sonore de Marc Thériault et par une sono impeccable, avec comme point d'orgue un immense échange de baisers entre les membres du public, ce spectacle et la place qu'il célébrait me sont apparus comme le signe que la ville est en train de retrouver son effervescence perdue et peut-être aussi, son estime d'elle-même.

Évidemment, une place ne peut pas à elle seule corriger l'immobilisme, le manque de moyens et la morosité qui plombent Montréal. Sans compter que cette place n'est pas la Via Veneto de Rome. Elle ne fera pas de Montréal la rivale immédiate de Barcelone comme l'avait annoncé le ministre Bachand et non, les gens du monde entier ne viendront pas à Montréal rien que pour voir la place et sa fontaine interactive munie de 235 jets. Il n'en demeure pas moins que le maire Tremblay, qui avait promis aux Montréalais une nouvelle place publique pour l'été 2009, l'a livrée comme prévue. Donnons-lui le crédit qu'il mérite et dont il a bien besoin.

Pour le reste, cette place n'en est qu'aux premiers mois de son existence mais son bilan, malgré certains problèmes de rodage et de circulation, est plutôt positif. Le test le plus éprouvant viendra cet hiver quand le robinet des fontaines interactives sera fermé et que de grands vents la balaieront. Mais les Montréalais en ont vu d'autres. Si au plus creux de l'hiver, on leur présente un Grand baiser givré ou si la veille du jour de l'An, on leur offre un disco de glace et de feu avec D.J. Champion, rien ne dit qu'ils n'adopteront pas cette place à l'année.