À 7h du matin, au plus creux de l'hiver de force de février 2008, une poignée d'endeuillés poireautaient sur le trottoir en attendant la mise à mort du Théâtre de Quat'Sous. Parmi ceux-là, Yvon Deschamps, sombre et silencieux à l'idée que le mythique théâtre qui avait lancé sa carrière allait bientôt être réduit par les bulldozers à un tas de gravats sous ses yeux.

Un peu plus loin, la comédienne Sylvie Drapeau, pour qui tout avait aussi débuté entre les quatre murs du Quat'Sous, cherchait les mots pour consoler les coeurs serrés autour d'elle. « C'est pas parce que le bâtiment tombe que nos souvenirs tombent avec lui. Le vrai Quat'Sous est dans notre coeur et dans notre tête. Personne ne pourra jamais nous l'enlever «, finit-elle par s'écrier à Éric Jean, le directeur du théâtre.

 

Ce matin-là et les matins suivants, les sceptiques, les fatalistes et les nostalgiques étaient nombreux à clamer que c'en était fini de l'âme du Quat' Sous. Peu importe sous quelle forme le théâtre renaîtrait, ils étaient convaincus que ce qui avait fait le charme et la singularité de ce petit théâtre, témoin des grands émois culturels des cinq dernières décennies, avait disparu à jamais.

Mais pour une fois, les sceptiques, les nostalgiques et les prophètes de malheur ont été confondus.

Depuis sa réouverture il y a trois semaines avec le magnifique spectacle de poésie signé Loui Mauffette et jusqu'à son inauguration officielle, hier soir, en présence de la ministre Line Beauchamp (celle qui a approuvé la reconstruction du théâtre et lui a accordé une subvention de 3,7millions), le Quat' Sous fait la preuve chaque jour que non seulement il n'est pas mort, mais que sa reconstruction - résurrection? - l'a rendu plus vivant et vibrant que jamais.

Malgré le béton et le verre de sa nouvelle enveloppe, malgré sa silhouette de gratte-ciel et ses revêtements extérieurs bigarrés qui ne font pas l'unanimité, le Quat'Sous a réussi l'exploit de projeter dans l'avenir sans renier un sou de son passé.

À l'aube du printemps dépressif d'une ville qui accumule les mauvais coups et les tuiles, l'exemple du Quat'Sous devrait servir de leçon aux promoteurs montréalais qui construisent des salles et érigent des édifices sans réfléchir à ce qu'ils font et sans autre souci que la rentabilité.

La réussite du Quat'Sous tient précisément au soin qu'on a mis à le reconstruire à la fois à neuf et à l'identique, afin de le préserver des affres d'une transformation extrême qui aurait profané sa mémoire et tué son esprit.

Il est si rare que l'architecture à Montréal réussisse aussi bien à marier l'histoire et l'avenir que le geste mérite d'être souligné et célébré.

Ce mariage heureux, on le doit évidemment à l'architecte Éric Gauthier. Mais on le doit aussi à la famille du Quat' Sous et à son directeur Éric Jean. À chaque rencontre avec l'architecte, Éric Jean sortait de son sac une pile d'images de maisons. Pour lui, avant d'être un théâtre ,le Quat' Sous était une maison avec toute l'intimité, la chaleur et la proximité que cela suppose. En fait, Éric Jean n'a pas oublié qu'au tout début de l'aventure, Paul Buissonneau et sa bande avaient baptisé l'ex-synagogue « la maison de l'avenue des Pins. « C'est cette maison-là que le directeur a voulu faire renaître de ses cendres avec les mêmes tables bistro usées fournies par Yvon Deschamps, avec les tuiles de marbre cassées sur place au marteau par Buissonneau et avec la grosse panthère en peluche noire de Louise Latraverse assoupie dans l'escalier menant à une salle de spectacle qui ressemble à ce point à la salle d'origine qu'on pourrait penser qu'elle est la seule à avoir échappé aux bulldozers. Il n'en est rien, mais l'illusion est parfaite.

Tout cela pour dire qu'à l'aube du printemps d'une ville en pleine dépression, il y a finalement au moins une raison de célébrer : le Quat'Sous a retrouvé son âme. Et contre toute attente, sa vieille âme brille comme un sou neuf.

COURRIEL

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