Le cinéaste Norman McLaren était de son vivant et jusqu'à sa mort à Montréal en 1987, le Picasso du cinéma d'animation. Picasso était d'ailleurs un grand admirateur de ses films. Un jour, en voyant Hen Hop mettant en vedette une poule frénétique qui danse, Picasso s'était écrié: «Enfin quelque chose de nouveau dans l'art du dessin!»

On se souvient tous de Picasso, mais qui se souvient encore de Norman McLaren, de l'Oscar qu'il a remporté en 1953 ou de la cinquantaine de films d'animation qu'il a réalisés à l'ONF, dont plusieurs en dessinant directement sur la pellicule? Pas grand monde, sinon la poignée de cinéastes d'animation qui travaillent encore à Montréal et deux créateurs multimédias, du nom de Michel Lemieux et de Victor Pilon, auteurs et concepteurs de Norman, un fabuleux spectacle, à mi-chemin entre la magie, l'illusion d'optique et l'holographie, qui porte sur la vie et l'oeuvre de Norman McLaren.

C'est dans une chambre d'hôtel à Compiègne en France qu'est né ce spectacle singulier. À la télé, un animateur couvrait d'éloges une jeune artiste française qui se vantait d'avoir été la première à dessiner sur de la pellicule. Michel Lemieux a sursauté, furieux de constater que la jeune femme ignorait ou alors passait volontairement sous silence le nom de l'inventeur d'une technique qui a révolutionné le cinéma d'animation et préparé le terrain, entre autres, au vidéoclip.

Pour remédier à ce qui ressemblait autant à une imposture qu'à de l'amnésie culturelle, Lemieux proposa à Pilon, son associé, de remettre Norman McLaren à la mode.

Créé il y a deux ans avec l'aide de l'ONF dans le festival Québec en scène à Ottawa, Norman a fait le tour du monde depuis. Après Toronto et Montréal, les Britanniques, les Allemands, les Français, les Chinois et les Coréens ont plongé dans l'univers virtuel de Lemieux et Pilon avant de partir à la découverte de McLaren, cet étrange oiseau, né en Écosse, mais qui a vécu toute sa vie adulte à Montréal.

Parmi la montagne de critiques élogieuses que le spectacle a récoltées un peu partout, une résume ma pensée mieux que les autres. C'est signé par une journaliste du Toronto Star qui écrit: «À mi-chemin du spectacle, je me suis dit que je voulais que la ville au complet voie et vive cette extraordinaire fusion entre la réalité et le monde virtuel. En même temps, j'étais en colère de constater que la salle n'était pas pleine et que trop de spectateurs potentiels avaient manqué le bateau.»

Moi je suis un peu moins fâchée que la dame puisque Norman reprend l'affiche de la Cinquième salle de la Place des Arts dès mercredi, et ce, pour une douzaine de représentations. Je n'en demeure pas moins déçue du peu d'attention médiatique porté à Norman comme si ce spectacle difficile à catégoriser, mais si facile à apprécier, était un truc confidentiel et marginal pour initiés seulement. Or Norman n'est peut-être pas Notre-Dame de Paris, mais c'est un spectacle ouvert, accessible et enchanteur, que l'on connaisse l'oeuvre de McLaren ou non. Et si d'aventure on n'a jamais entendu parler du grand cinéaste, le spectacle nous apprendra avec élégance et humour, et grâce à son unique acteur entouré de fantômes en forme d'hologrammes, ce qu'on a manqué et ce qu'on ne devra désormais plus oublier.

Le Québec regorge de magiciens de la scène et de scénographes fabuleux. Parmi ceux-là, il y a évidemment Robert Lepage, dieu de l'image et de l'effet, champion de la scénographie et maître absolu de la mécanique théâtrale. Sauf qu'on a tendance à penser que Lepage est tout seul sur son Olympe. C'est de moins en moins le cas. Avec des spectacles comme Norman, mais aussi La tempête qui a été présenté partout dans le monde ou le projet La Belle et la Bête, prévu au TNM en 2011, Lemieux et Pilon créent des mises en scène aussi visuellement novatrices et maîtrisées que Lepage. La différence entre les deux est purement technique. Lepage travaille avec des cadres, des rampes, des rails, des structures mobiles en bois ou en métal. Lemieux et Pilon travaillent avec des projections et des transparences et font de la scénographie liquide en opposition à la scénographie lourde de Lepage. Le reste est une affaire de goût, de sensibilité et de médiatisation.

Chose certaine, ceux qui n'ont pas réussi à mettre la main sur des billets pour Le dragon bleu de Robert Lepage au TNM devraient courir réserver leur place pour Norman à la Cinquième salle. Ma main au feu qu'ils ne seront pas déçus.

 

Photo: Mario St-Jean

Michel Lemieux et Victor Pilon ont décidé de remettre Norman McLaren à la mode.