J'ose à peine le croire, mais c'est pourtant vrai. Tous les jours, sauf le lundi, quelque part entre 11h et 17h, le téléphone blanc sur le mur blanc d'une des salles de l'exposition Imagine, la ballade pour la paix de John et Yoko au Musée des beaux-arts de Montréal, va sonner. Quiconque sera dans cette salle à ce moment-là pourra répondre. «Allo, c'est Yoko», dira la voix à l'autre bout du fil.

Comprenez-moi bien, il ne s'agira pas d'un message enregistré ou d'une imitation de Pierre Verville. À l'autre bout du fil, tous les jours sauf le lundi, ce sera bel et bien Yoko qui, de New York ou Tombouctou, aura composé le numéro afin d'engager la conversation avec un visiteur de l'expo. L'idée est d'elle et connaissant sa détermination, il est assuré qu'elle ne manquera pas un seul appel pendant deux mois et demi. C'est tout à son honneur.

N'importe qui peut donc répondre à Yoko. Même les journalistes? ai-je demandé. Si oui, peuvent-ils en profiter pour faire une entrevue avec Yoko et poser les vraies questions sans craindre d'être décapités par la machette d'une matrone faisant partie de sa garde rapprochée?

Si vous pensez que j'exagère, demandez à Patrice Roy comment il a aimé se faire rabrouer en pleine entrevue par une relationniste américaine mécontente d'une de ses questions. Il ne fut pas le seul. Mes collègues Mario Cloutier et Bernard Brault qui sont allés rencontrer Yoko à New York ont dû se farcir le même genre d'ingérence.

Yoko Ono a beau être la plus grande des pacifistes, son entourage est une machine de guerre tyrannique qui semble avoir été mise sur pied uniquement pour broyer la liberté (de parole et de mouvement) des journalistes. Si ce n'était qu'une affaire de sécurité, on comprendrait. Mais au-delà de la protection de Yoko, il y a une volonté féroce et antidémocratique de ses relationnistes de contrôler l'information.

C'est l'aspect le plus décevant de la démarche d'une artiste qui, tout en se présentant comme la grande prêtresse de la paix et de l'harmonie, tolère et cautionne l'arrogance et la brutalité antidémocratique de son entourage.

Heureusement, cette brutalité s'arrête aux portes de l'exposition Imagine, une expo sympathique, ludique, et débordante de petits détails émouvants. Ici, un mur de photos en noir et blanc où apparaît le Montréal de 1969; là, la Gibson acoustique avec laquelle John Lennon entonna Give Peace a Chance dans le lit du Reine Elizabeth; ici, les paroles d'Imagine gribouillées sur un bout de papier; là, des vidéos inédites de concerts, un immense buffet social et historique conçu pour l'édification des Montréalais qui n'étaient pas là en 1969.

Cette expo, dont l'entrée est libre, est un joli cadeau printanier aux habitants de la ville. C'est aussi un cadeau collectif qui a pu se réaliser grâce à la collaboration d'une quarantaine d'entreprises qui ont fourni gratuitement leurs services ou leurs matériaux. Leur générosité en ces temps de tourmente économique fait chaud au coeur. Yoko aussi s'est montrée généreuse en prêtant plusieurs de ses oeuvres au musée ou alors en fournissant des consignes très précises sur la disposition des installations. Mais dire que son génie artistique explose dans cette expo serait mentir.

À côté de l'oeuvre forte et furieusement pacifiste de Dominique Blain, une artiste québécoise qui nous a offert Missa, une pièce faite de 100 bottes militaires suspendues par des fils dans une pièce d'un blanc aveuglant ou encore un tapis persan à motif de mines antipersonnel, pièce préférée de Lady Di, l'oeuvre de Yoko apparaît simpliste et angélique. En fin de compte, la plus grande réalisation artistique de Yoko Ono, c'est elle-même. D'où l'importance de répondre au téléphone blanc quand il va sonner. Après tout, ce n'est pas tous les jours qu'on peut parler de vive voix à une oeuvre d'art.