Les deux premières capsules de Mère indigne, diffusées exclusivement sur le site web de Radio-Canada depuis lundi, sont plutôt marrantes. Dans la première, on voit la pauvre mère indigne, interprétée par la comédienne Marie-Hélène Thibault, trouver refuge dans l'escalier crapoteux de sa cave pour boire, en cachette de ses rejetons, un cocktail trop sucré. Alors que deux petites cornes lui poussent sur la tête, elle nous expose son projet: documenter le côté obscur de la maternité grâce à la magie de la web télé.

Dès la deuxième capsule, ce côté obscur surgit au détour d'une conversation téléphonique avec un poupon étranger qui respire trop fort et lui fait penser aux appels obscènes des pervers de sa jeunesse. Autant dire que la maman du poupon ramène brutalement la mère indigne à la réalité.

Chaque capsule, tirée du blogue de Caroline Allard, dure environ 3 minutes, fait appel à un décor minimaliste et à un nombre limité de comédiens, incluant un authentique bébé du nom de Charlotte Bégin. Contrairement aux séries télé où il faut compter une bonne semaine pour tourner un seul épisode, une capsule de Mère indigne se tourne en quelques heures et, avec un peu de chance, on a bouclé le tournage de deux ou trois capsules à la fin d'une journée de travail.

Mère indigne me fait beaucoup penser à la série La galère, à cette nuance près que La galère coûte plusieurs millions à produire et Mère indigne, une poignée de milliers de dollars. De sorte que si La galère était un chandail de femme, Mère indigne serait le même chandail, mais qui a rétréci au lavage.

Or, par les temps qui courent, on se demande si la télé publique n'est pas elle-même sur le point de rétrécir au lavage sous l'assaut du savon conservateur qui rêve de la voir disparaître dans le cyberespace.

La télé publique vient en effet de perdre la réserve de plus de 100 millions, soit 37 % du Fonds canadien de télévision, qui était systématiquement mis de côté pour elle.

Rappelons que ce fonds qui finance vos émissions préférées et même celles que vous ne regardez pas tire ses sous de Patrimoine Canada (120 millions) de même que des redevances des câblodistributeurs (87 millions) et des distributeurs par satellite (79 millions).

Rappelons également qu'il y a deux ans, Jim Shaw, le PDG de Shaw Communications, imité en cela par celui de Vidéotron, a décidé de suspendre sa contribution financière au fonds. Raison? M. Shaw en avait marre de voir 37 % de ses millions aller automatiquement à CBC et Radio-Canada alors que les deux sociétés reçoivent déjà 1 milliard en subventions annuelles du gouvernement.

À l'époque, non seulement Jim Shaw voulait-il supprimer la réserve de la télé publique, mais il voulait aussi la mort d'un fonds qui, selon lui, finançait des assistés sociaux déguisés en producteurs et des émissions canadiennes qui n'intéressaient personne.

Deux ans plus tard, la bonne nouvelle c'est que les conservateurs n'ont pas suivi les conseils de leur ami Jim et n'ont pas mis à mort un fonds qui deviendra en avril 2010 le Fonds canadien des médias et qui sera doté d'un budget de 300 millions. Merci M. Moore.

La mauvaise nouvelle, c'est qu'il fallait tout de même faire plaisir à Jim et lui donner un os à manger. C'est ainsi que la télé publique a perdu 100 millions de dollars et sa place au conseil d'administration du fonds, qui sera dorénavant constitué de deux fonctionnaires de Patrimoine Canada et de cinq représentants des câblodistributeurs.

Désormais, ce sont les câblodistributeurs qui décideront quelles émissions sont bonnes pour les Canadiens. Désormais, la télé publique devra prendre un numéro et faire la file comme les autres diffuseurs. Ses projets seront jugés au mérite comme ceux de TVA, TQS et Astral même si son mandat culturel n'a rien à voir avec la vocation commerciale de ses concurrents.

Pour Radio-Canada, c'est un ÉNORME changement qui va à coup sûr modifier sa marque et affecter sa créativité et sa diversité. Avec des bailleurs de fonds qui ne pensent qu'aux cotes d'écoute et à la rentabilité, la télé publique n'aura plus les moyens de prendre des risques ni d'être aussi audacieuse que par le passé. Les nouveaux impératifs commerciaux auxquels elle sera soumise par ses maîtres, les câblodistributeurs, la pousseront davantage dans le camp des Boys que dans celui de Minuit le soir. C'est inévitable.

Heureusement, il lui reste le web, incubateur naturel et peu coûteux, qui pourrait à la longue lui servir de rampe de lancement et de ballon d'essai. Un concept lancé sur le web qui soulève l'adhésion du public aurait en effet de bonnes chances d'obtenir du financement pour devenir une émission de télé. Mère indigne en est le meilleur exemple. Déjà, des membres de la direction de la SRC ne cachent pas leur souhait que Mère indigne se retrouve un jour au petit écran.

Dans un monde idéal, le petit chandail de mère indigne deviendrait grand et passerait en format télévision. Mais comme le monde n'est pas idéal, il se peut que Mère indigne ne migre jamais vers le petit écran. Il se peut même que tout ce qui est au petit écran de la télé publique finisse par migrer sur le web et par y mourir. Si c'est le cas, satisfait du travail qu'il a accompli, Jim Shaw pourra rentrer chez lui et déclarer fièrement à sa femme: «Chérie, devine quoi? J'ai réduit la télé publique.»

 

Photo: Radio-Canada

Marie-Hélène Thibault est la vedette de Mère indigne, diffusée exclusivement sur le site web de Radio-Canada.