À trois jours de la prestation de serment historique du premier Noir à la présidence américaine, l'heure est à l'émotion, à l'euphorie, à l'espoir - à tout sauf à l'humour et à l'ironie. Qui a envie de rire à un moment aussi chargé symboliquement? Qui veut se moquer de ce héros magnifique qu'est Barack Obama? Certainement pas moi. Mais je ne suis pas humoriste et je ne gagne pas ma vie en écrivant des blagues comme le Montréalais Barry Julien, scripteur pour l'hilarante émission de satire et de parodie politique The Colbert Report.

Chez nous, cette émission diffusée à CTV et animée par Steven Colbert, qui campe un commentateur réactionnaire, n'est pas très connue. Aux États-Unis pourtant, dès sa première semaine en ondes à l'automne 2005, The Colbert Report obtenait des cotes d'écoute de 1,2 million par soir. Depuis, sa popularité n'a cessé de croître, poussant certains à la préférer au Daily Show de Jon Stewart, où le personnage de Colbert est né.

 

Mais que cette émission soit meilleure ou non, Barry Julien - que j'ai spontanément rebaptisé Barack - est non seulement ravi d'y travailler en compagnie de 13 autres scripteurs, dont Colbert, mais il m'a assuré de son bureau à New York qu'il n'hésitera pas à se moquer du nouveau président dès que possible. «Pour l'instant, nous ne l'avons pas encore complètement saisi et comme Obama n'est pas encore à la Maison-Blanche, qu'il n'a pas passé de loi ni fait de gaffe majeure, on n'a pas grand-chose sur lui. Mais comptez sur nous pour en trouver!»

Pendant la course à l'investiture démocrate, Obama est apparu au Colbert Report via satellite pour dénoncer «les maudites distractions médiatiques.» Sa femme Michelle s'est pour sa part risquée dans le studio de Colbert où elle a fait preuve d'un redoutable sens de l'humour. «Nous savons tous que vous êtes une élitiste, née avec une cuillère d'argent dans la bouche, mais au fait, combien de cuillères, vous et votre famille, aviez à la maison?» a demandé Colbert. «Quatre cuillères, a répondu du tac au tac Michelle Obama. Et cinq quand mon père a eu une promotion.» Barry Julien ne se souvient pas qui a écrit cette réplique pour Michelle Obama, mais chose certaine, elle a été écrite par un scripteur de l'émission. Idem pour la blague reprise par Jon Edwards le jour où il a endossé publiquement Obama. «Je lui ai demandé un jet-ski, mais je l'attends toujours!» a lancé Edwards à la foule.

Barry Julien avait écrit cette blague un mois plus tôt lors du passage d'Edwards au Colbert Report. En l'entendant la récupérer dans un rassemblement politique, Barry Julien s'est senti gonflé d'importance et récompensé pour les milliers d'heures où il reste enfermé dans son bureau à chercher le jeu de mots, l'idée ou l'image qui fera rire le public.

Fils de Claude Julien, un Québécois né à Verdun, Barry Julien a grandi à Dollard-des-Ormeaux et à Pierrefonds avant d'étudier en communications à Concordia. Il a fait du stand up comic à Juste pour rire, a écrit pour l'émission satirique canadienne This Hour Has 22 minutes», qu'il a quittée pour le Comedy Network aux États-Unis.

Le lendemain de notre entretien, son patron Steven Colbert ouvrait son émission en déclarant qu'il avait toujours eu des doutes au sujet d'Obama. Est-il qualifié? Est-il vraiment Américain et, surtout, où était-il le soir où Vince Foster (un conseiller de Clinton) est mort? Autant de questions troublantes qui ont fait crouler de rire le public en studio. Puis, Colbert s'est lancé avec son complice P.K. Winsome, un faux entrepreneur républicain noir, dans un numéro tordant mettant en scène une boîte de boisson énergisante Yes we can, un pot de margarine commémorative Obamamargarine, un minuteur à oeuf Obama et une assiette commémorative montrant Colbert regardant Obama sur sa télé Zenith, le soir de sa victoire électorale, preuves irréfutables que même Barack Obama peut faire vendre des cochonneries aux Américains. Ça, c'était six jours avant la prestation de serment d'Obama. Imaginez le 20 au soir ou le 21 au matin.