Je ne sais pas quand la névrose a débuté ni quelles furent ses origines. Je me souviens seulement que les premiers symptômes sont apparus rue Sainte-Catherine. J'étais encore célibataire, sans héritier et sans doute nostalgique des Noëls de mon enfance quand subitement ça m'a prise: une envie folle, un besoin pressant, une impulsion faite de grandeur, d'irrationalité et d'absolu.

Plantée devant les quatre grenouilles en peluche du Moulin de la forêt qui s'étalait dans toute sa splendeur dans la vitrine d'Ogilvy, à l'époque où les produits de maquillage Mac n'avaient pas commencé à envahir les lieux ni à faire la guerre aux animaux animés, j'ai senti l'esprit de Noël monter en moi et m'investir d'une foi incommensurable. Ce jour-là, dans une tentative désespérée de retrouver la magie de Noël que je pensais avoir perdue mais que, en réalité, je n'avais jamais connue, j'ai décidé que Noël serait le moment le plus important de l'année, un moment parfait et idyllique qu'il faudrait préparer avec le soin qu'on accorde à une noce royale, sinon à la soirée des Oscars.

 

C'était une décision presque politique. J'avais décidé d'accorder le pouvoir d'enchantement à une seule date et d'en faire l'unique dépositaire de toutes mes attentes. Et pour que cette fête soit à la hauteur de mes ambitions, j'avais imaginé un décor et réuni une série d'accessoires indispensables au succès de mon rêve éveillé: du champagne dans des flûtes de cristal, des montagnes de cadeaux emballés comme des bonbons scintillants, un sentier de bougies menant à une table saupoudrée d'or et dressée pour un grand festin où les seuls interdits seraient les conflits et les drames.

Sans m'en rendre compte, je venais de m'emparer non pas de la corde, mais de la guirlande pour me pendre. Car à partir de ce moment-là, Noël est devenu un Everest au sommet duquel j'arrivais épuisée, essoufflée et exsangue. Je voulais que tout soit parfait, du plus petit détail au plus grand. Mais ce n'est pas tant un délire de perfection qui m'animait qu'une névrose d'espoir, névrose dont les attentes étaient tellement grandes qu'elles étaient vouées à la déception.

Aussi, immanquablement, sur le coup de minuit, au lieu de monter au ciel et d'atteindre le nirvana, j'entreprenais ma lente descente vers la désillusion. Cela commençait généralement après le dépouillement des cadeaux, qui prenait trois minutes et quart, un temps injustement disproportionné en regard du siècle que j'avais mis à les choisir, à les acheter et à les emballer.

Mais ça, c'était seulement l'entrée en matière. Après le désenchantement venaient les drames.

Je ne compte plus le nombre de querelles, de ruptures, de crises de nerfs, de crises de larmes et de crises de foie que j'ai vécues à Noël. Chaque fois, les astres semblaient s'aligner de travers expressément pour gâcher ma fête et ternir ma foi. Mais je continuais d'y croire quand même. J'y croyais comme les enfants croient au père Noël.

Et puis, un jour, j'en ai eu marre d'espérer un miracle qui n'arrivait jamais. Il faut dire que j'attendais quelque chose d'autrement plus sérieux et engageant. J'attendais un enfant. Ce Noël-là, enceinte jusqu'aux oreilles, je n'ai pas bougé, pas levé le petit doigt, rien espéré, sinon qu'on en finisse au plus sacrant. Noël est venu et parti sans faire de bruit et cela m'a fait le plus grand bien. J'ai compris que j'étais sur la voie de la guérison. L'année suivante, pour la première fois depuis longtemps, Noël m'est apparu comme une fête comme les autres dont aucun cadeau ne pouvait égaler le trésor que je tenais dans mes bras et qui me fixait de ses grands yeux éblouis. C'était il y a 17 ans. Noël n'avait pas changé. Moi, oui.