Tous les soirs depuis plus de 15 ans, Charlie Rose anime un talk-show à la télé publique américaine. Pas un talk-show ordinaire: le dernier refuge de la conversation intelligente à la télévision, selon certains.

De Noam Chomsky à Sarah Palin en passant par Bill Clinton, Henry Kissinger, Tony Blair, Nicolas Sarkozy, Bruce Springsteen, Brad Pitt, Meryl Streep et George Clooney, le nombre de vedettes politiques, intellectuelles et artistiques qui sont venues s'asseoir à la table de bois verni de Charlie, voisine les milliers. Il est d'ailleurs plus facile de faire le compte de ceux qui ne s'y sont pas assis que le contraire.

Les invités ne sont pas tous des gens célèbres, mais ce sont tous des stars dans leur domaine et la plupart du temps, des stars internationales qui se sont épanouies ailleurs que dans le nombril américain. Plusieurs Canadiens, comme l'écrivain Margaret Atwood ou même Michael Ignatieff du temps qu'il était prof et écrivain, y ont été invités. Pour ce qui est des Québécois, ils n'ont jamais été légion. Je suppose que le peu de poids politique et culturel que le Québec représente dans le monde est en partie responsable de notre faible taux de représentativité chez Charlie Rose.

Reste qu'une fois tous les 100 ans, Charlie appelle au Québec et lance une invitation à Denys Arcand, feu Pierre Elliott Trudeau, Dov Charney, le fondateur d'American Apparel, ou tout récemment, au pianiste Alain Lefèvre. Cette entrevue avec le pianiste chéri des Québécois a été diffusée lundi soir. Ceux qui l'ont manquée peuvent la voir sur le site de Charlie Rose, un des plus importants sites du genre, riche de plus de 4000 vidéos mettant en vedette les grands de ce monde.

L'entretien avec le pianiste québécois dure 30 minutes à la télé et le double sur le web. L'anglais un peu confus de Lefèvre freine parfois l'échange d'idées. Reste que cet entretien a une immense qualité. Celle de ne jamais tomber dans les clichés de l'exotisme et de la condescendance auxquels nous ont habitués aussi bien les animateurs américains que leurs congénères canadiens dès qu'il est question de cette étrange planète nommée Québec.

Avec un intérêt qui semblait réel et sincère, Rose a écouté Lefèvre évoquer sa passion pour le compositeur André Mathieu, passion qui l'a mené à créer le Quatrième concerto de Mathieu à Tucson en Arizona. Puis, ils ont enchaîné avec une conversation d'adultes sur Chopin, Rachmaninov et sur la musique classique en général.

Charlie Rose n'a jamais demandé à Lefèvre où était le Québec et ce qu'on y mangeait pour déjeuner. Il ne s'est pas étonné qu'il y ait au Québec des pianos, et même d'authentiques pianistes qui ne travaillent pas pour la police montée. Non, rien de tout cela. Charlie Rose avait invité à sa table un pianiste de talent et il avait envie d'entendre ce qu'il avait à dire. Point à la ligne.

Être invité chez Charlie Rose est toujours un honneur. Mais être traité sans condescendance et avec respect par un animateur intelligent est un honneur encore plus grand.

Cette semaine, on a fait grand cas dans les médias du passage de Pascale Picard à New York. Tout cet émoi pour un spectacle d'un soir dans le cadre très «corporatif» d'un showcase. Qu'est-ce ça va être le jour où elle sera invitée à Charlie Rose?

Ensemble, c'est tout

Il y a 20 ans, dans une autre vie, j'ai réalisé un documentaire sur le Cirque du Soleil pour l'ONF. Pendant deux semaines à New York, en 1988, j'ai filmé la transformation de ce petit cirque québécois et artisanal en machine américaine à succès, sans essayer de cacher les tensions et les tiraillements qui secouaient le cirque à ce moment charnière de son histoire. Guy Laliberté ne me l'a jamais pardonné. Mieux encore: après la sortie du documentaire, il décréta qu'à l'avenir, tous les films sur le Cirque seraient produits à l'interne et n'échapperaient plus jamais à son contrôle.

Ce long préambule pour vous expliquer le contexte, mais aussi mon parfait étonnement devant All Together Now, le documentaire d'Adrian Wills sur la rencontre historique entre les Beatles et le Cirque du Soleil à l'occasion de la création du spectacle LOVE à Las Vegas en 2006. Le documentaire sera présenté à 19 h 30 vendredi à Radio-Canada. Une bien mauvaise case horaire pour un aussi formidable film.

Ceux qui auront la bonne idée de troquer le magasinage contre une pause télé, vont découvrir une oeuvre fascinante, inspirante et d'une candeur d'autant plus inattendue que son réalisateur est le réalisateur officiel du Cirque. J'ignore comment Adrian Wills a réussi à convaincre Guy Laliberté de lui accorder une aussi belle liberté.

Chose certaine, le résultat est tout à l'honneur du cinéaste comme de son grand patron. Pendant 90 minutes avec le metteur en scène Dominic Champagne comme guide, on suit l'exaltante mais difficile gestation d'un spectacle historique constamment menacé de mourir au feuilleton s'il n'obtient pas l'aval des Beatles et de leur succession.

Tour à tour, Yoko Ono, puis Olivia, la veuve de George Harrison, viennent exposer leurs doléances au pauvre Dominic Champagne, qui finit par ne plus savoir à quel saint se vouer. On voit la tension monter et la résistance s'organiser. Mais plus que tout, on voit naître un spectacle magique et inspirant qui lie à jamais la destinée des Beatles à celle d'une bande de Québécois. Comme objet de fierté nationale, on ne fait pas mieux. Vendredi, 19 h 30 à la SRC.