Au plus fort du drame politique qui se joue depuis lundi à Ottawa, alors que les trois ex-ennemis et nouveaux «amigos» de la coalition venaient à peine de terminer leur conférence de presse, un nouveau capitaine Canada est subitement apparu devant les caméras. Son nom? James Moore, ministre du Patrimoine, celui dont il n'y a pas si longtemps, les organismes culturels saluaient la nomination. S'ils avaient su, les pauvres...

Flanqué du ministre de l'Environnement Jim Prentice, le nouveau Capitaine Canada a été dépêché par son patron Stephen Harper pour tenter de sauver les meubles de la maison en ruine. C'est dire à quel point le patron le tient en haute estime.

 

Afin de ne pas le décevoir, le Capitaine Moore a d'abord cherché à miner la crédibilité de la coalition. Pour se faire, il a sorti sa tête d'enterrement et trois gros mots pour qualifier cette honteuse association fomentée par l'opposition. Ces trois gros mots étaient dans l'ordre: socialiste, séparatiste et libéral.

Ne connaissant pas personnellement le nouveau poids lourd du Patrimoine, j'ignore quel gros mot lui a donné le plus violent haut-le-coeur. Socialiste, un mot suspect et pouilleux qui pue le communisme? Séparatiste, un mot coupable de haute trahison contre le Canada? Ou libéral, un mot qui a la couleur du sang et du gros rouge qui tache?

D'instinct, je dirais que c'est le mot libéral qui lui a été le plus douloureux à prononcer, mais je peux me tromper. Quoi qu'il en soit, ce court numéro de tirs hostiles et de gros mots nous a permis de mieux saisir la personnalité du ministre du Patrimoine et de voir son visage de droite comme on ne l'avait pas vu avant.

Personnellement, cela m'a donné des frissons. D'autant plus que c'est la première fois que je réalise pourquoi Stephen Harper semble accorder autant d'importance au jeune homme de 32 ans, marié à son chien Jed. La raison est simple: James Moore est le clone de Stephen Harper.

Comme Harper, Moore n'est pas très porté sur la chose culturelle. Sauf que Harper a au moins l'excuse d'avoir passé beaucoup de temps dans les rodéos de Calgary. Moore, lui, n'a aucune excuse. Il vient de la côte Ouest où les mentalités sont habituellement cool, ouvertes et à des années-lumière de l'esprit autoritaire, doctrinaire et partisan des conservateurs. Mieux encore: il a grandi à Port Moody et quand il ne siège pas à Ottawa, il vit toujours dans cette petite municipalité à 20 km de Vancouver, qui se présente sur son site web - ô douce ironie - comme une ville des arts.

Port Moody compte en effet un théâtre, un musée, des galeries, un centre d'art et même un festival du film canadien. Mais selon Zoe Royer, la candidate néo-démocrate qui a perdu contre Moore, le ministre du Patrimoine passe plus de temps à promener son chien qu'à aller au théâtre ou au musée. «Il est très respecté dans la communauté, mais je ne l'ai jamais vu participer à quelque activité culturelle que ce soit.»

Quelques minutes avant que je ne joigne Zoe à Vancouver par téléphone, hier après-midi, le nouveau Capitaine Canada changeait subitement de stratégie en prenant d'assaut la Chambre des communes. Arborant une étonnante cravate rouge libérale, Moore a sauté sur la première occasion offerte par le Bloc québécois pour se lever et se lancer dans un ardent plaidoyer pour les arts et la culture.

Dans un français ma foi presque aussi bon que l'anglais de Stéphane Dion, Moore a clamé que les vrais champions des subventions en culture c'étaient les conservateurs et non les libéraux. On connaît la chanson. Zoe Royer aussi la connaît bien.

«Pendant la dernière campagne, m'a-t-elle rappelé, James Moore n'a pas cessé de prendre le crédit pour les quelque 220 millions qui ont été versés dans notre région grâce au programme des infrastructures. Sauf que ces millions-là avaient été accordés par le gouvernement précédent. Quant aux 417 millions qu'il nous a promis pour le prolongement de la ligne des trains de banlieue, on n'en a jamais vu la couleur. Dès que la campagne a été finie, il a tout bonnement cessé d'en parler.»

À bien y penser, cette crise a au moins un avantage. En effet, quoi qu'il advienne, il est à peu près assuré que les jours de James Moore au Patrimoine sont comptés. Et si jamais, après une prorogation, une élection ou une révolution, il devait y revenir, il n'aura d'autre choix que de mettre de l'eau dans son vin, sinon du rouge libéral dans son moteur...