Le virus a été foudroyant. En quelques heures, 6000 personnes l'avaient attrapé, puis 40 000, puis 200 000. Aujourd'hui, on doit bien être un quart de million à avoir cliqué sur Culture en péril dans Youtube avant de succomber au virus et d'en mourir...de rire.

Mettant en vedette Michel Rivard dans son propre rôle ainsi que Benoît Brière et Stéphane Rousseau dans le rôle d'inquisiteurs issus de la droite conservatrice, cette petite capsule vidéo aux allures kafkaïennes tourne autour d'un immense quiproquo. Venu demander une subvention à un comité surréaliste qui siège dans l'obscurité et qui n'a jamais entendu parler de lui ni de Beau Dommage, le chanteur prend sa guitare pour montrer de quoi il est capable. Mais a peine a-t-il entamé le premier couplet de La complainte du phoque en Alaska que Rivard s'attire les cris outrés des membres unilingues du comité, qui n'ont retenu que le mot phoque, pour ne pas dire fuck, sinon Holy Fuck, comme le groupe rock du même nom.

Plus Rivard essaie de se justifier, plus il se heurte à l'indignation d'une bande d'intégristes à ce point refoulés sexuellement que tous les mots qui tombent dans leurs chastes oreilles se parent de connotations sexuelles.

Après avoir demandé au chanteur s'il croyait en dieu et s'il était homosexuel, le comité finit par rejeter sa demande. Good bye. Bon débarras. Au suivant!

Bien qu'il n'ait été payé par aucun parti et ne fasse la promotion d'aucun candidat, ce clip est à mes yeux le meilleur message publicitaire de la campagne électoral. Les agences de pub auraient avantage à s'en inspirer. Cela nous changerait de leurs pubs électorales ennuyeuses comme la pluie.

Reste que, aussi hilarant soit-il, ce clip est un brin malhonnête intellectuellement dans la mesure où il laisse entendre que les coupes de 45 millions dans les programmes culturels visent avant tout à punir les artistes québécois.

Or, on se souviendra que, au lendemain de l'annonce des coupes, les trois exemples cités pour les justifier concernaient des artistes du Canada anglais: les membres du groupe Holy Fuck, le documentariste Avi Lewis, mari de la militante de gauche Naomi Klein, et Tal Bachman, le fils d'un millionnaire du rock canadien.

Évidemment, même s'ils n'ont pas été montrés du doigt par les sbires de Patrimoine Canada, les artistes québécois seront les plus touchés par ces coupes puisque ce sont eux qui tournent le plus à l'étranger. Reste que, au lieu d'en faire des êtres forts qui s'insurgent contre une idéologie, on en a fait une fois de plus les victimes d'un système qui méprise leur langue et leur culture. Air connu et un peu usé.

Mais on pardonnera aux auteurs ce glissement démagogique, tant leur travail au plan cinématographique et au plan de la communication est efficace. D'ailleurs, ce clip est tellement bon et bien fait qu'on se demande pourquoi ses auteurs insistent tant pour cacher leur identité. Tout ce qu'on sait d'eux, c'est qu'ils appartiennent à l'EBAACH: l'Escouade bénévole et anonyme des artistes contre Harper.

Pour le reste, leur démarche s'inscrit à merveille dans la culture du web: une culture axée sur la disponibilité, l'accessibilité et le secret. Ici, non seulement le secret stimule la spéculation et alimente une certaine mystification, mais il renforce l'idée que les auteurs risquent en quelque sorte leur réputation et leur avenir. Bref, s'ils se cachent, c'est par crainte de représailles politiques. Ont-ils raison?

La tentation romantique serait de répondre oui. Mais ce serait pure fiction. Car de ce que l'on sait de l'identité des auteurs, réalisateurs et producteurs de la vidéo, tous sont bien établis et jouissent d'une excellente réputation dans le milieu du cinéma et de la télévision. On voit mal Josée Verner les empêcher de tourner des films ou d'écrire des téléséries. On a beau être paranoïaque, nous ne vivons pas à l'ère du duplessisme.

Alors pourquoi donc se cachent-ils? À mon avis, c'est d'abord pour le marketing, puis pour le plaisir de faire un geste sans en assumer la paternité, et aussi pour le plaisir de savoir qu'on est le seul à savoir, comme le pyromane devant l'incendie qu'il a allumé.

D'une manière comme de l'autre, c'est un peu moche pour les trois vedettes du clip, qui, elles, sont obligées d'assumer tout le poids de l'entreprise à visage découvert. Pourquoi elles et pas les autres?

Plus moche encore, la stratégie du secret a permis à Josée Verner de faire passer les auteurs du clip pour des faibles et des peureux qui n'ont pas le courage de leurs convictions. «Moi, quand j'ai quelque chose à dire, je ne me cache pas pour le dire», a-t-elle ironisé.

La ministre avait entièrement raison, à une nuance près: Josée Verner a-t-elle déjà eu quelque chose à dire qui ne lui soit pas dicté par le bureau de Stephen Harper? Permettez-moi d'en douter.