Quand Mélanie Joly s'est présentée à la mairie de Montréal en 2013, elle était une parfaite inconnue. Jeune avocate de 34 ans, véritable boule d'énergie, séduisante avec ses cheveux blonds et son teint de pêche, elle avait fait fureur.

Elle avait créé un parti politique de toutes pièces, Vrai changement pour Montréal. Elle avait lancé sa campagne le 17 juin 2013, jour de l'arrestation du maire Michael Applebaum accusé de fraude, complot et abus de confiance.

Son programme était minimaliste, son équipe, inexistante. Elle n'avait qu'un message : moi, moi, moi. Et une ambition : devenir mairesse de Montréal.

Je l'avais interviewée après le point de presse. Ses réponses étaient interminables. Difficile de trouver une brèche dans ce déluge de mots.

Une fois par mois, elle rencontrait l'ex-premier ministre Lucien Bouchard, son mentor.

«Lucien Bouchard a créé un parti, m'avait-elle expliqué. Comme moi.»

Elle n'avait pas peur de se comparer aux plus grands.

Elle m'avait raconté sa vie : son enfance à Laval, son père comptable, sa mère directrice d'école, ses études au chic collège privé Regina Assumpta, ses ambitions pour Montréal.

J'avais passé une journée avec elle. Pendant qu'elle distribuait des dépliants électoraux dans le métro, elle avait croisé une amie de Regina Assumpta, Liliane Castravelli. «Mélanie était brillante, avait-elle dit. Elle avait beaucoup de charisme et elle était très sportive. C'était LA fille populaire. C'est une extravertie.»

«Il fallait tout le temps que je parle!», avait ajouté Mélanie Joly en riant.

Dans le taxi, elle parlait sans arrêt, les yeux rivés sur son iPhone.

Le soir du scrutin, elle avait terminé deuxième. Cette météorite sortie de nulle part, cette apprentie politicienne avait battu Richard Bergeron qui ramait dans la garnotte de l'opposition depuis 10 ans.

Elle avait juré qu'elle serait candidate à la mairie en 2017. «Je suis là pour rester», avait-elle martelé.

Elle avait pourtant disparu de l'écran radar de la politique municipale aussi vite qu'elle y était apparue.

***

Dimanche, à l'émission Tout le monde en parle, la Mélanie Joly que j'avais connue en 2013 n'avait pas changé : même logorrhée et même capacité à ne pas écouter et à parler par-dessus les autres comme s'ils n'existaient pas.

Engluée dans le dossier Netflix, la ministre du Patrimoine s'entêtait à défendre l'indéfendable, soit que le géant américain Netflix ne perçoit pas de taxes, alors que les Tou.tv et les illico de ce monde en perçoivent.

Injustice fiscale, répétaient deux invités qui en connaissent un rayon sur les chiffres, le journaliste de Radio-Canada Gérald Fillion et le chroniqueur économique Pierre-Yves McSween.

L'entrevue était énervante, presque souffrante. Gérald Fillion a gardé son calme même s'il était visiblement décontenancé par Mélanie Joly.

«On dirait que vous ne nous entendez pas», lui a-t-il dit.

Pierre-Yves McSween, lui, cachait mal son exaspération. Mélanie Joly, qui était assise à côté de lui, a mis sa main sur son bras pendant qu'il bouillonnait. Il a eu un mouvement de recul pour se dégager.

«Ce qui m'a dérangé, m'a raconté McSween, c'est qu'elle voyait que j'étais en train de pomper. Elle m'a touché le bras comme si elle me disait : "Calme-toi." Hey! Attends une minute, là, ça fait 15 minutes que je t'écoute. Ça va faire, j'ai le droit d'être fâché. Non, je ne me calmerai pas.»

«Je suis un homme de faits», a-t-il ajouté.

«Ç'a été coupé au montage, mais à un moment donné, je lui ai dit : "On peut-tu se parler en sujet-verbe-complément?" Peut-être qu'on est rendus à une écoeurantite de langue de bois. Elle, c'est le summum de la langue de bois.»

Mélanie Joly n'a pas seulement exaspéré Pierre-Yves McSween et Gérald Fillion, elle a aussi mis les nerfs de Paul Arcand à rude épreuve. Le redoutable animateur du 98,5 a cuisiné Mélanie Joly pendant 17 minutes. L'entrevue s'est enlisée en Absurdistan. Arcand essayait de garder son calme et de poser des questions courtes, claires et précises. Mélanie Joly noyait ses réponses dans un torrent de mots.

Il a eu beau la cuisiner, elle a répété son message en boucle sans broncher, sourde aux questions de l'animateur.

«Je vous trouve confus», a-t-elle lancé à Arcand vers la fin de l'entrevue.

Confus, lui? J'ai ri.

***

Cet été, Richard Martineau a pondu une chronique qui m'a fait crouler de rire. C'est rare, je le sais. Son titre : «Comment parler le Mélanie Joly».

«Apparu il y a quelques années seulement, a-t-il écrit, le Mélanie Joly est une langue hyper obscure parlée par une seule personne sur terre : Mélanie Joly.»

Martineau a déniché une perle. Interviewée par Alain Gravel à Radio-Canada en mars 2016, elle avait expliqué, dans un jargon qu'elle seule pouvait décoder, l'annonce d'un investissement de deux milliards dans la culture.

«Notre investissement, avait-elle dit, participe d'une logique où nous avons été élus sur la base d'un programme qui favorisait la croissance économique et, pour nous, cet investissement participe de la façon où nous allons créer de l'innovation, et cette innovation-là, on doit la créer en créant le bon écosystème, et les gens qui travaillent dans le milieu de la création sont la flore et la faune de cet écosystème-là...»

Rien à ajouter.