Tout allait bien jusqu'au 31 juillet. À 37 ans, Stéphanie était enceinte de son premier enfant, une grossesse surprise que son copain, père d'une fille de 6 ans, et elle avaient acceptée avec joie. Ils voulaient créer un nid, construire une petite famille.

Tout se dérègle l'après-midi du 31 quand Stéphanie a de légers saignements. Inquiète, elle appelle Info-Santé et l'hôpital Maisonneuve-Rosemont qui la rassurent. Le soir, elle perd beaucoup de sang. Affolée, elle prend contact avec l'hôpital qui lui dit de venir immédiatement. Elle appelle sa mère, puis l'ambulance. Elle saigne trop pour prendre un taxi.

Elle arrive aux urgences, couchée sur une civière, paniquée et bouleversée, une serviette de bain entre les jambes pour absorber tout le sang qui s'écoule de son ventre. Un infirmier l'examine rapidement, puis lui donne quatre serviettes hygiéniques en lui disant : « Va t'asseoir dans la salle d'attente. »

Il est 21 h.

Enceinte de trois mois, elle croyait qu'elle avait dépassé le cap délicat où une femme risque de faire une fausse couche. Elle avait commencé à l'annoncer à ses amis et à penser à des noms. Le bébé se taillait une place dans la vie de ses futurs parents.

« Je le savais que je perdais mon bébé, mais je gardais un mince espoir. J'étais dans le néant, on ne m'a rien dit, sauf : "Va t'asseoir." » - Stéphanie Mailhot, 37 ans

Elle fait de fréquents allers-retours entre la toilette et la salle d'attente. Chaque fois, elle passe, en larmes, devant une centaine de personnes. Les urgences sont pleines à craquer.

Sa mère lui dit : « Je peux pas croire qu'ils te laissent ici pendant que tu es en train de perdre ton bébé ! »

À 22 h 30, Stéphanie le perd, son bébé. « J'étais aux toilettes, il est tombé dans la bol. Je l'ai vue, une petite boule recroquevillée. Il avait tout, des doigts, des orteils, un nez. Mon bébé était complet. Cette image-là est gravée dans ma mémoire. »

Elle tire sur la sonnette d'urgence installée dans la toilette. Personne ne vient. La mère de Stéphanie, énervée, crie devant tout le monde : « Ma fille est en train de perdre son bébé dans la toilette, on peut-tu l'aider ? »

L'infirmier qui a examiné Stéphanie à son arrivée se rend aux toilettes et voit le foetus qui gît dans le fond de la cuvette. Avec des pinces, il le prend et le dépose dans un bocal transparent. « Il a traversé la salle d'attente avec mon bébé dans le bocal », s'indigne-t-elle.

Pendant qu'elle pleure et essuie le sang, son chum se précipite au comptoir et exige une civière. On donne d'autres serviettes hygiéniques à Stéphanie, puis on l'abandonne dans le couloir en lui disant d'attendre.

Il est 23 h.

« J'étais au bord de la crise de nerfs, je pleurais, j'étais très fragile. »

Stéphanie passe la nuit entre sa civière et la toilette, celle où elle a perdu son bébé. Elle se vide et saigne, ignorée par le personnel. Au milieu de la nuit, elle expulse le placenta. Elle sonne.

« Une infirmière bête est venue me voir. Elle m'a dit : "C'est toi qui as sonné ?" Je lui ai montré le placenta. Elle l'a jeté dans la poubelle. »

Stéphanie demande des Tylenol. Elle ne les a jamais eues. À 6 h 30, elle voit un médecin. « Il a été très gentil. Il m'a expliqué que le bébé avait probablement une malformation. »

Elle doit passer une échographie à 13 h 45. Elle retourne chez elle - elle n'habite pas loin -, prend une douche et retourne à l'hôpital. Elle subit son échographie, mais pour obtenir les résultats, elle doit retourner aux urgences et passer de nouveau à travers le processus d'admission. Elle attend cinq heures, les mêmes urgences, la même attente longue comme l'éternité, la même toilette où elle doit se rendre souvent. En face d'elle, une femme berce son bébé naissant.

À 19 h, elle voit un médecin, un autre, avec qui elle a un échange surréaliste.

- Je ne vois pas de trace de grossesse, dit-il.

- J'ai fait une fausse couche, répond Stéphanie.

- Ah bon ? T'as perdu du sang ?

- J'ai évacué mon bébé dans les toilettes de l'urgence !

- Un amas de chair ?

- Non ! Un foetus avec des bras et des jambes.

« Le médecin a finalement compris, il était désolé. Je pense qu'il n'avait pas lu mon dossier avant de me voir. »

Stéphanie retourne chez elle, troublée, traumatisée. « J'étais pas un numéro, mais de la merde, câline ! Je le sais qu'on ne pouvait pas sauver mon bébé, mais j'aurais aimé qu'on me traite dignement. Je vivais un deuil. »

Une de ses amies a vécu la même chose qu'elle, sauf que la chasse d'eau des toilettes de son hôpital était automatique. Le foetus a disparu avant qu'elle ait le temps de l'apercevoir.

Plainte

Le 16 août, Stéphanie Mailhot a envoyé une lettre à la commissaire aux plaintes de Maisonneuve-Rosemont. Le lendemain, elle a reçu un accusé de réception l'informant que sa plainte serait examinée et qu'elle aurait une réponse dans les 45 jours.

Stéphanie exige des excuses. « Je veux aussi qu'on paie mes frais de psychologue et la portion de mon salaire qui n'est pas assurée. »

Elle demande à l'hôpital de fournir une toilette privée et une pièce à part - un placard à balai ferait l'affaire, précise-t-elle - pour que les femmes qui font une fausse couche puissent faire leur deuil en toute intimité et non devant une salle d'attente bondée.

Quelques jours après sa fausse couche, Stéphanie est retournée au travail. Elle pleurait et elle n'arrivait pas à se concentrer. Elle a obtenu un congé de maladie. Sur le billet du médecin, on peut lire : « Trouble d'adaptation vs traumatisme psychique ». Elle est en congé jusqu'au 10 octobre.

Réaction de l'hôpital

Tout de suite après mon appel, l'hôpital a réagi. La directrice des soins infirmiers, Audrey Bouchard, et la coordonnatrice pour les urgences, Marie-Josée Simard, ont appelé Stéphanie Mailhot.

« Je voulais lui témoigner mon empathie et lui offrir des services de soutien, m'a dit Audrey Bouchard. Nous prenons la situation très au sérieux. »

Elle a mandaté une équipe d'experts pour lui « fournir une analyse objective et complète du cas de cette dame-là » et « pour mettre en place, s'il y a lieu, des mesures correctives ».

Elle a ajouté que la commissaire aux plaintes devrait remettre ses conclusions à Stéphanie Mailhot au milieu de la semaine prochaine.

Un cas similaire

Le 8 janvier 2007, La Presse a raconté une histoire presque identique : une femme enceinte de deux mois a attendu 13 heures aux urgences de Maisonneuve-Rosemont avant de faire une fausse couche dans les toilettes. À l'époque, la direction avait dit qu'elle prenait la situation très au sérieux. Neuf ans plus tard, le même événement s'est reproduit. Pourquoi ? L'hôpital a été incapable de répondre.

« Depuis ce temps-là, il y a eu beaucoup de changements de pratique, a expliqué la directrice des soins infirmiers, Audrey Bouchard. Je ne peux pas me pencher sur cet événement-là. »

Elle ignore si, à l'époque, il y a eu plainte ou enquête.

« Avez-vous reçu des plaintes semblables au cours des dernières années ? », lui ai-je demandé.

« Je n'ai pas d'information sur des cas similaires », a-t-elle répondu.