Je suis arrivée à Bruxelles en auto à 18 h, hier soir. J'étais partie de Paris, où je vis depuis trois mois. Impossible de prendre le train, le trafic ferroviaire avait été interrompu à la suite des attentats, et les premiers avions ne décollaient pas avant 19 h. J'osais à peine imaginer le chaos qui devait régner à l'aéroport de Bruxelles, où deux bombes venaient d'exploser.

J'ai donc loué une auto. Près de 320 km séparent Paris de Bruxelles. J'ai écouté la radio belge sur la route. Les mêmes informations tournaient en boucle : les morts, les blessés, la capitale en état de choc, les autorités qui demandaient aux gens de rester chez eux et les spécialistes qui défilaient au micro pour tenter d'expliquer l'inexplicable.

J'avais une étrange impression de déjà-vu : des kamikazes qui se font exploser dans des endroits publics, des cafés et des restaurants à Paris en novembre, une station de métro et l'aéroport à Bruxelles hier, sans oublier les attentats de Charlie Hebdo en janvier 2015. Un point en commun : le groupe armé État islamique. Une guerre au nom d'Allah. Il n'y a pas à dire, Allah a le dos large.

Je suis arrivée au centre-ville de Bruxelles sans m'égarer, merci Google. J'ai déposé mes bagages dans un hôtel. Je voulais filer tout de suite à la station de métro Maelbeek, où des kamikazes ont fait 20 morts et plus de 100 blessés. Impossible d'y aller en métro, les transports en commun étaient paralysés. Impossible aussi de mettre la main sur un taxi. J'ai décidé d'y aller à pied, une marche d'environ 45 minutes.

En sortant de mon hôtel, je suis tombée sur trois policiers, deux hommes et une femme, qui m'ont plutôt suggéré d'aller à la place de la Bourse, où les gens se rassemblent.

« Et les attentats ? Ça se passe comment pour vous ?

- On vit ça minute par minute, a répondu la policière. Souvent, on n'est pas informés. On subit, comme tout le monde. »

***

À la place de la Bourse, environ 300 personnes battaient le pavé. Beaucoup de jeunes, mais des vieux aussi qui, spontanément, se sont retrouvés dans la rue piétonne face à l'impressionnant édifice de la Bourse, un monument de style néo-Renaissance avec des colonnes et des sculptures, dont certaines de Rodin. J'avais l'impression d'être de retour sur la place de la République à Paris, où les gens s'étaient réunis après les attentats de Charlie Hebdo : la même tristesse, la même stupeur, les mêmes messages d'amour, la même hébétude d'avoir été la cible d'attentats et la même détermination, celle de refuser la peur et de tenir tête aux terroristes.

« Je suis Bruxelles » a remplacé « Je suis Charlie ». Les mots ont changé, mais pas la réalité. J'avais l'impression que l'histoire se répétait de façon obscène.

Il était 19 h, le ciel était d'un bleu immaculé, un ciel doux qui annonce le printemps, un ciel qui contrastait violemment avec le drame que vivait Bruxelles. Dans la rue, des messages écrits à la craie : « Peace », « Make love not war », « Unis contre la haine », « Vous allez vous aimer les uns les autres, bordel ! », « La haine n'aura pas le dernier mot ! »

Des boîtes de craie déposées dans la rue et sur le trottoir invitaient les gens à dessiner ou à écrire. C'est Vittoria Spezialetti, 22 ans, étudiante en communications, qui a eu l'idée des craies. « J'étais avec une amie, a-t-elle expliqué. On a d'abord pensé aux bougies, mais on voulait que les gens s'expriment. C'est là qu'on a pensé aux craies. On a commencé à 200 mètres d'ici, place Fontainas, et ça s'est rendu jusqu'ici. »

L'idée a fait boule de neige. Un homme dessinait un visage dans un coeur avec une craie jaune. J'ai voulu lui poser une question. Il a secoué la tête. « Tibet, tourist. »

Un peu plus loin, Miguel et Justine se promenaient avec une poussette dans laquelle babillait leur bébé de 5 mois. Ils vivent à Molenbeek, le quartier où Salah Abdeslam, le cerveau des attentats de novembre à Paris, a été capturé vendredi. Ils étaient venus à pied, car le métro était fermé. Trente minutes de marche.

« On ne voulait pas rester à la maison », a expliqué Miguel, le père de 31 ans. « On est bruxellois, on est solidaires », a ajouté sa femme Justine. Ils étaient pressés de rentrer, car le babillage de la petite se transformait en pleurs.

Sur les marches de l'édifice, des cannettes de bière, une bouteille de vin. Les gens restaient sur place, ils attrapaient une craie, écrivaient un message, ils ne voulaient pas se retrouver seuls chez eux en tête-à-tête avec leur téléviseur.

« On nous a dit de rester à la maison, mais j'avais besoin de monde autour de moi, a dit Ignace Buelens, 24 ans. Je n'avais pas envie de regarder les images à la télévision. C'est trop dur d'être seul dans des moments pareils. C'est important d'être ensemble. »

Ignace est consultant pour une banque. Quand les bombes ont explosé, les employés ne pouvaient pas quitter l'édifice. L'interdiction a été levée vers midi.

Quand je suis rentrée à mon hôtel, le ciel se teintait de gris. Les gens continuaient d'affluer sur la place de la Bourse. Pendant que j'écrivais, j'entendais le son des sirènes qui déchirait la nuit. Bruxelles était sur le qui-vive.