Le maire Coderre voue une admiration sans bornes au fondateur du Cirque du Soleil, Guy Laliberté. C'est son droit le plus légitime.

Denis Coderre se sent coupable parce que la Ville, dit-il, a malmené Laliberté quand il a présenté son projet de complexe récréotouristique en 2006. Le problème, c'est qu'il tourne les coins ronds avec l'histoire.

Le projet de Guy Laliberté est mort-né parce qu'il était mal ficelé, pas parce que la Ville n'a pas « mis ses culottes », pour reprendre l'expression du maire Coderre. L'ex-grand fonctionnaire chargé d'étudier le projet, Guy Coulombe, avait demandé que le plan retourne sur la table à dessin, un avis repris par le ministre des Finances de l'époque, Michel Audet. C'est ça qui a tué le projet.

Montréal n'a donc pas de dette envers Guy Laliberté, Denis Coderre n'a pas à se sentir « honteux » et il n'a pas à lui offrir l'île Sainte-Hélène sur un plateau d'argent pour réparer une faute imaginaire.

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Guy Laliberté aimerait réaliser son nouveau projet de commémorations funéraires au coeur de l'île Sainte-Hélène. C'est Denis Coderre qui a pris contact avec M. Laliberté, qu'il décrit comme un « génie créatif ». Il veut l'associer aux fêtes du 375e anniversaire de Montréal.

Le projet comprendrait un restaurant, un musée, un espace pour des célébrations funéraires, un cimetière pour animaux et un bâtiment emblématique. Selon Le Devoir, ce complexe touristico-funéraire serait situé dans la zone patrimoniale de l'île Sainte-Hélène. Il aurait une superficie de 130 000 mètres carrés, soit l'équivalent de 24 terrains de football.

On n'en sait pas plus. Le cabinet du maire refuse de commenter l'affaire et la porte-parole de Guy Laliberté ne m'a pas rappelée.

Comment ose-t-on vendre un parc ? Un parc est un parc, un espace public qui appartient à tous les Montréalais.

C'est Montréal qui a accordé un statut patrimonial à une partie de l'île Sainte-Hélène. Voici ce qu'on peut lire dans le plan d'urbanisme de la Ville adopté en 2004 : « Des mesures de protection particulières doivent être adoptées au regard de ce secteur présentant un intérêt patrimonial exceptionnel. »

Exceptionnel.

Le problème, c'est que ce statut n'accorde aucune protection. Une partie de l'île peut être vendue, cédée, louée, bradée...

La Ville protège un site en lui accordant un statut patrimonial d'une main, mais elle peut le déshabiller de l'autre. Où est la protection ? L'île Sainte-Hélène est à la merci de l'admiration béate du maire pour un entrepreneur. On ne veut pas revenir à l'époque de Pierre Bourque, qui était prêt à céder la montagne aux promoteurs. Il n'avait pas de plan d'ensemble ni de sensibilité pour les espaces verts.

Comment peut-on vendre un site patrimonial à une entreprise privée ? Si Guy Laliberté achète l'île, qu'arrivera-t-il le jour où il voudra la vendre ?

Le pire, c'est que les discussions se déroulent derrière des portes closes. La présidente du conseil d'administration de la Société du parc Jean-Drapeau ignorait l'existence du projet. Faut le faire.

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À Montréal, moins d'un ménage sur deux a une auto. Les Montréalais vont dans l'île Sainte-Hélène, ils se baignent dans les piscines au milieu des arbres, ils pique-niquent ou se promènent à vélo dans les allées ombragées. Une station de métro est située à deux minutes de marche des piscines.

Je suis une Montréalaise qui a grandi dans le béton. Je n'ai pas d'auto depuis 27 ans. L'hiver, je fais du ski de fond sur la montagne. L'été, quand Montréal suffoque sous la canicule, je prends le métro ou j'enfourche mon vélo pour aller nager dans les piscines de l'île. J'aime les îlots de fraîcheur, les arbres, les espaces verts, les renards qui se promènent en liberté. Le calme, le silence, la paix, la sainte paix à l'abri de la rumeur de la ville. C'est mon coin de campagne. Je n'ai pas envie de me balader entre deux urnes funéraires ou de traverser un cimetière pour animaux.

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La seule chose qui peut sauver l'île, si Denis Coderre et Guy Laliberté vont de l'avant, c'est l'indignation.

Les Montréalais auront leur mot à dire. L'Office de consultation publique va sonder la population, écouter le promoteur et les citoyens et faire des recommandations. Ce sont les élus qui vont trancher, car l'Office n'a pas de pouvoir décisionnel, mais si les gens manifestent une forte opposition, le maire devra en tenir compte.

Pour l'instant, M. Coderre et M. Laliberté ne font que discuter. On est loin du compte.

N'empêche, il faut être vigilant. Si Héritage Montréal et les Amis de la montagne ne s'étaient pas battus bec et ongles, la montagne serait tapissée de condos.

Le parc du Mont-Royal - et non la montagne au grand complet - est protégé par la charte. Le conseil municipal ne peut pas la modifier, seul le gouvernement du Québec a ce pouvoir. Aucun promoteur ne pourra y construire une cabane à sucre ou une tour avec un restaurant au sommet sans obtenir le feu vert du gouvernement. Ça, c'est de la protection, de la vraie.

Pourquoi ne pas faire la même chose avec le coeur de l'île Sainte-Hélène ?