Après avoir écouté Obama mercredi soir, j'avais plus de questions que de réponses.

Les États-Unis partent en guerre contre l'État islamique, mais sur le bout des pieds. Pas question, a précisé Obama, d'envoyer des troupes au sol. Normal. Après l'Irak et l'Afghanistan, quel président serait assez fou pour dépêcher des dizaines de milliers de soldats au front.

Obama a choisi les frappes aériennes, comme il le fait depuis un mois en Irak, mais il va les intensifier et bombarder aussi la Syrie, ce pays maudit qui s'enfonce dans l'horreur depuis trois ans.

Obama ne voulait pas mettre le doigt dans l'engrenage syrien. Deux semaines plus tôt, il a dit qu'il n'avait pas de stratégie pour la Syrie. Franchise ? Maladresse ? Son aveu a déclenché rires et sarcasmes. Facile de rire. Personne n'a de stratégie. Les Occidentaux regardent la Syrie empiler les cadavres avec épouvante : près de 200 000 morts. En trois ans. Dont beaucoup de civils, hommes, femmes et enfants. Plus personne ne pleure sur leur sort.

Le chaos syrien a nourri l'État islamique qui a pris le contrôle du nord du pays avec une facilité déconcertante. Les Occidentaux paient le prix de leurs hésitations, voire de leur lâcheté et de leur incapacité à stopper Bachar al-Assad, le président sanguinaire de la Syrie, qui s'accroche au pouvoir avec une brutalité affolante.

On parle beaucoup de l'État islamique et de sa sauvagerie barbare, mais Bachar al-Assad n'est guère mieux. Il ne décapite pas des journalistes dans des vidéos léchées et des mises en scène macabres, mais il ne se gêne pas pour emprisonner, torturer et assassiner des civils. L'ONU l'accuse de crimes de guerre. Il a utilisé des armes chimiques contre son peuple, il bombarde les civils avec des barils bourrés de chlore et ses tireurs embusqués abattent des enfants qui attendent en ligne pour acheter du pain.

Au début de la guerre civile, l'armée rebelle qui se battait contre Assad était surtout composée de civils qui rêvaient de démocratie. Mais l'Occident leur a tourné le dos. Les djihadistes en mal de guerre se sont engouffrés dans la révolution syrienne et ils en ont pris le contrôle. Des djihadistes de toutes sortes : Front al-Nosra, Ahrar al-Sham, Liwa al-Tawhid, État islamique, Front islamique... Une chatte en perdrait ses petits. Ils ont d'abord combattu du côté des rebelles, puis contre eux, avant de se lancer dans une lutte fratricide. Pendant ce temps, Bachar al-Assad, mort de rire, continuait de bombarder les civils.

La Syrie est devenue un immense foutoir où tout le monde se bat contre tout le monde. Les Occidentaux, horrifiés, n'osent pas intervenir. Ils ont peur de mettre le feu aux poudres, peur de faire flamber le Moyen-Orient au grand complet, peur de soutenir les rebelles modérés, car les armes et l'argent pourraient tomber entre les mains des djihadistes.

Le cancer syrien, lui, grossit, grossit et grossit, engraissé par la paralysie de l'Occident. Comme l'État islamique.

Obama veut donc intervenir et bombarder non seulement l'Irak, mais aussi la Syrie. Il a raison. À quoi bon bombarder l'Irak sans toucher la Syrie? Pourquoi s'attaquer à la moitié du cancer et laisser le reste de la tumeur proliférer ?

Obama veut se battre contre l'État islamique, sans pour autant soutenir Bachar al-Assad. Une contorsion guerrière nécessaire, mais difficile, voire quasiment impossible, car Assad ne peut que profiter de l'affaiblissement de l'État islamique.

Obama veut aussi soutenir les rebelles modérés. Une décision courageuse, mais est-il trop tard ? Que reste-t-il des modérés à part une armée affaiblie, déprimée, vampirisée par les djihadistes ? Le pari est risqué à cause du grand bordel syrien et de l'omniprésence des groupes terroristes.

Mais les Américains ont-ils le choix ? Peuvent-ils continuer à se croiser les bras et se mettre la tête dans le sable ? Et laisser le cancer grossir ?

La question n'est pas de se demander si les Américains et leurs alliés doivent intervenir. La question est plutôt : peuvent-ils ne pas intervenir ?

Fous, sanguinaires, barbares, le vocabulaire des Occidentaux ne manque pas d'hyperboles pour décrire l'État islamique (EI). Il faut dire que ces terroristes ne font pas dans la dentelle et qu'Oussama ben Laden a l'air d'un modéré quand on le compare au chef de l'État islamique, Abou Bakr Al-Baghdadi : exécutions massives, décapitations, prises d'otages, nettoyage religieux...

L'EI a déjà décapité deux journalistes américains, James Foley et Steven Sotloff. Il menace d'en décapiter un troisième, un Britannique. Et ce ne sera pas la fin, ils ont d'autres otages en réserve.

En quelques mois, l'EI a progressé de façon fulgurante, contrôlant pratiquement le tiers de l'Irak et une bonne partie du nord de la Syrie, où il impose une vision stricte de la charia, calquée sur le modèle taliban.

Le journaliste français Nicolas Hénin a été kidnappé par l'EI. Il a été détenu pendant plusieurs mois avec James Foley. Je lui ai parlé mercredi.

Il n'excuse en rien les militants de l'État islamique, mais il nuance la vision unilatérale de l'Occident.

« J'ai presque tendance à les comprendre, m'a-t-il dit. Quand vous vous battez pendant trois ans contre des gens qui vous en mettent plein la gueule, c'est normal de se radicaliser. Quand on n'a plus rien et qu'on est soumis à un tel stress, on peut comprendre que des gens deviennent ultra-religieux. Tout s'explique, tout a une cause. »

Tout s'explique, tout a une cause. Les groupes terroristes ne naissent pas spontanément. Ils se nourrissent du désespoir, de la pauvreté, des injustices. Et du fanatisme, bien sûr. Mais pas que du fanatisme.