Et de deux. Deux journalistes américains décapités, James Foley, 40 ans, et Steven Sotloff, 31 ans. À quand le troisième, le quatrième...

Même décor désertique, même mise en scène macabre: un journaliste à genoux, mains derrière le dos, vêtu d'une combinaison orange qui rappelle celle des prisonniers de Guantánamo. Même bourreau qui accuse les Américains d'être responsables de la mort des journalistes parce qu'ils continuent de bombarder le nord de l'Irak.

Derrière ces exécutions, un groupe terroriste, l'État islamique, qui a stupéfié le monde en progressant avec une vitesse folle, conquérant en quelques semaines le nord de la Syrie et de l'Irak. Un groupe dont personne n'avait entendu parler avant juin, à part une poignée d'experts spécialistes de cette région torturée du globe.

Selon le New York Times, l'État islamique n'a pas seulement exigé l'arrêt des bombardements en échange de la libération de James Foley, il a aussi demandé une rançon: 100 millions.

Les Américains ont refusé. Ils ne discutent pas avec les terroristes. Même ligne dure chez les Britanniques. Par contre, plusieurs pays européens négocient, l'Espagne, la Suisse, la France, l'Italie, l'Allemagne. Officiellement, ils ne cèdent pas d'un pouce, mais sous la table, ils crachent des millions pour récupérer leurs otages.

Ont-ils raison? Obama est-il responsable de la mort de Foley et de Sotloff? S'il avait accepté de payer, auraient-ils été libérés?

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Payer ou ne pas payer, vaste question. Complexe, difficile. Douloureuse pour les familles. Je pense à la mère du journaliste Steven Sotloff qui s'est adressée directement au chef de l'État islamique dans une vidéo crève-coeur. Elle pesait chaque mot de peur d'attiser la colère d'Al-Baghdadi qui tenait la vie de son fils entre ses mains.

Payer ou ne pas payer? En théorie, les États ne devraient jamais obtempérer aux demandes des terroristes. Pour les meilleures raisons du monde: pour ne pas mettre la vie des autres en danger - plus un État négocie, plus ses ressortissants deviennent des proies -, pour ne pas combattre les terroristes d'une main et les financer de l'autre en leur versant des millions, pour ne pas leur accorder de la crédibilité en acceptant de discuter avec eux, pour ne pas les encourager ni nourrir leur barbarie.

Cet été, le New York Times a publié une enquête sur l'industrie du kidnapping. Depuis 2008, les otages ont rapporté 125 millions à la nébuleuse Al-Qaïda. La moitié de cette somme, 66 millions, a été récoltée en 2013. La plupart des rançons ont été versées par des gouvernements européens. En 2003, un otage rapportait 200 000$. Aujourd'hui, il vaut plus de 10 millions.

Peu d'Américains et de Britanniques sont kidnappés, car les terroristes savent que leur gouvernement ne paie pas. Sur les 53 otages détenus par Al-Qaïda au cours des cinq dernières années, une vingtaine était français et seulement trois, américains.

Des conclusions qui font réfléchir.

Aucun État ne veut admettre qu'il négocie avec des preneurs d'otages. Cette question explosive ne fait l'objet d'aucun débat public. Selon David Rhode, un journaliste américain qui a été kidnappé par des talibans et qui a réussi à s'enfuir en sautant par une fenêtre, il faut en débattre. Il a raison.

Les Occidentaux en ont discuté. Ils ont même signé un accord lors du dernier sommet du G8 stipulant que, dorénavant, ils refuseraient de payer. Mais c'est du vent. Dans la vraie vie, chaque gouvernement y va selon ses principes, le poids symbolique de l'otage et la pression de son opinion publique. Certains paient dans le secret le plus absolu. Pour le plus grand bonheur des terroristes.

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Ne pas payer. Je comprends, mais en même temps, j'ai envie de dire qu'il faut payer pour libérer les otages, surtout les journalistes qui prennent des risques pour accomplir leur travail. Payer pour que des gens comme Foley et Sotloff ne meurent pas comme des chiens. Payer pour éviter une mort absurde, violente, révoltante.

J'ai croisé James Foley en septembre 2012 à Alep, la ville martyre que Bachar al-Assad bombarde sauvagement. J'étais dans le hall d'un hôpital où les médecins soignaient des blessés qui entraient à pleine porte, soldats, femmes et enfants avec des plaies béantes. Les autres étages étaient fermés parce les avions de Bachar al-Assad avaient bombardé l'hôpital cinq fois.

On se marchait sur les pieds dans le hall exigu. Foley filmait, moi, je prenais des notes. On s'était salués rapidement. Deux mois plus tard, il se faisait enlever. Sa mort m'a bouleversée.

Pourquoi pleurer la mort d'un journaliste, alors que la guerre en Syrie a fait près de 200 000 victimes, dont plusieurs civils? La vie d'un journaliste a-t-elle plus de poids que celle d'un enfant anonyme abattu d'une balle dans la tête par les tireurs embusqués de Bachar al-Assad?

Non, évidemment, cette comptabilité funèbre est absurde, mais en tuant un journaliste de façon aussi spectaculaire, les terroristes défient l'Occident.

Aucun journaliste, du moins à ma connaissance, ne couvre les régions contrôlées par l'État islamique. Qui osera s'aventurer sur leurs terres en sachant qu'il peut finir à genoux au milieu du désert devant une caméra avec, à ses côtés, un terroriste masqué prêt à le décapiter avec un couteau?

Qui?

Pratiquement personne.

Et c'est bien là le drame.