L'imam arrive à la mosquée avec sa chemise de bûcheron. Il parle avec un accent français mâtiné de québécois. Il ressemble à tout, sauf à un imam.

Il s'appelle Brahim Rerhghaye et il est né au Maroc. Comme beaucoup de musulmans de la région, il est venu au Québec pour étudier. Il avait 20 ans. Aujourd'hui, il en a 48. Il a passé plus de la moitié de sa vie au Saguenay.

Quand il n'est pas imam, il travaille comme mécanicien en électromécanique de systèmes automatisés.

Il a fait son baccalauréat en éducation physique à l'Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) et... il est tombé amoureux d'une Québécoise. Il a deux enfants. Ses racines sont ici, à Saguenay.

La mosquée de Chicoutimi ne paie pas de mine. Un bloc beige quelconque. Il n'y a pas de minaret ni de haut-parleur pour l'appel à la prière. Rien ne laisse deviner qu'une mosquée se cache derrière cette façade sans grâce.

Pourtant, en septembre, en plein débat sur la charte des valeurs, la mosquée a été vandalisée. Un homme a lancé du sang de cochon sur le mur extérieur et envoyé une lettre haineuse.

La petite communauté musulmane de Saguenay a eu peur. C'était la première fois qu'elle était visée par un geste hostile. Musulmans et catholiques vivaient côte à côte en toute tranquillité depuis des années et les femmes pouvaient se promener avec un voile sans se faire insulter ou regarder de travers. Le débat sur la charte a tout chamboulé.

Dans son prêche, Brahim a demandé aux fidèles de ne pas paniquer. «Certains voulaient partir, surtout les nouveaux, raconte-t-il. Je voulais les rassurer.»

Brahim n'aime pas la charte. «On veut enlever les signes religieux, mais on ne parle que du voile», proteste-t-il. Il fixe ses larges mains, puis il regarde Mustapha Elayoubi, président de l'Association islamique du Saguenay-Lac-Saint-Jean, assis près de lui.

Mustapha Elayoubi m'a fait visiter la mosquée pendant qu'un ouvrier changeait les serrures. Bientôt, il y aura des caméras. Depuis l'épisode du sang, la sécurité a été renforcée.

La salle de prière est à gauche. La pièce est grande comme une classe. Au fond, une section est réservée aux femmes. Elle est séparée du reste de la salle par un grand rideau qui court du plafond au plancher. Les femmes prient derrière le rideau, à l'abri du regard des hommes.

En 1979, Mustapha a quitté son pays, le Liban, pour étudier à Chicoutimi. Il a fait sa maîtrise en physique à l'UQAC. Comme Brahim, il est tombé amoureux d'une Québécoise, et comme lui, il a passé plus de la moitié de sa vie au Saguenay. Il a enseigné la physique au cégep et à l'université. Il a deux enfants, le premier est neurochirurgien, le deuxième, avocat criminaliste.

Quand je lui parle de la charte, il me dit: «J'en ai gros sur le coeur. Le Parti québécois ranime des sentiments primaires chez les Québécois, dont la peur de la différence.»

Il n'est pas le seul à s'inquiéter.

Quand Khadiyatoulah Fall, professeur à l'UQAC, est arrivé au restaurant, je l'ai reconnu à sa peau noire. Un Noir dans une mer de Blancs. M. Fall est né au Sénégal, sa femme aussi. Il se dit Québécois d'abord et avant tout. Il est arrivé à Chicoutimi en 1979. Lui non plus n'aime pas la charte.

«Les musulmans sont frappés de soupçon, explique-t-il. On a l'impression qu'une personne voilée ne peut pas prendre de décisions au nom de la communauté dans son ensemble, comme si les musulmans étaient contaminés et qu'ils ne pouvaient pas s'élever au-dessus de leur signe religieux. C'est une stigmatisation.»

Le débat sur la charte a mené à des dérapages «des deux côtés», ajoute-t-il. De la part de certains musulmans qui ont mis tous les Québécois dans le même panier en les traitant de racistes et de xénophobes, et de la part des Janettes. Denise Filliatrault a traité les femmes qui portent volontairement le voile de «folles» et Janette Bertrand ne veut pas être soignée par une femme voilée parce que dans «sa religion», on laisse les vieilles «partir plus vite».

«II y a un islam qui s'installe, précise M. Fall. On voit apparaître des mosquées, des commerces halal et des demandes pour des cimetières musulmans.»

Cette réalité est là pour rester. «L'islam va de plus en plus faire partie du Québec et ça, il faut l'accepter.»

Quand j'ai demandé au maire Jean Tremblay ce qu'il avait pensé du vandalisme, il a répondu: «C'était un geste stupide.»

Mais il a vite nuancé, cachant mal son jupon catholique.

«On ne dit rien quand une église catholique est vandalisée. Quand c'est les autres, c'est grave. On n'a pas de respect pour nos valeurs. S'il se passe la moindre petite affaire contre les musulmans, c'est la fin du monde!»

On rit des catholiques et du pape, mais il ne faut pas rire des musulmans. On se plaît à se mépriser, ça me fait peur. Pis c'est pas parce que tu es musulman que tu es bon!

Pas très rassurant pour les musulmans de Saguenay.