Les Touaregs sont au coeur du problème qui a failli provoquer l'éclatement du Mali. Vraiment? De plus en plus de gens croient que les islamistes et autres groupuscules manipulent la cause touareg à leurs fins. Rencontre avec un jeune Touareg et un ancien premier ministre.

Mohammed a 26 ans, il est né et a grandi à Tombouctou, dans le nord du Mali. C'est un Touareg. On a travaillé ensemble à Mopti et à Bamako. Le soir, sous le ciel étoilé, il me racontait les caravanes de chameaux conduites par son père de Tombouctou à Taoudeni, un périple de 900 km dans l'immensité du Sahara. Il parlait avec ses mains, les yeux brillants, la parole alerte.

Mohammed s'habille à l'occidentale et à l'africaine, jeans et boubou. Il écoute de la musique touareg, mais aussi Céline Dion et Bryan Adams. Il a un BlackBerry, mais il rêve d'avoir un iPhone.

Il vit à Bamako depuis 10 mois, car sa famille a fui les islamistes qui ont conquis Tombouctou. Il se sent à l'étroit dans les rues bondées et sales de la capitale. Même s'il passe le plus clair de son temps à Bamako, sa tête est à Tombouctou, dans ses ruelles sablonneuses, ses maisons aux portes sculptées, ses mosquées en terre battue et son horizon infini. Un univers monochrome tissé de beige et de sable.

Mohammed a la peau pâle, comme la plupart des Touaregs. Son père est un nomade. «L'hiver, d'octobre à mars, il partait avec une centaine de chameaux à travers le désert chercher du sel dans la mine de Taoudeni, dit-il. Un mois pour faire l'aller-retour. Le jour, les hommes buvaient du thé et se reposaient. La nuit, ils traversaient le désert, sans boussole et sans GPS. Ils suivaient les étoiles.»

L'été, son père fabriquait des couteaux et des bijoux qu'il vendait aux touristes. Sa mère, elle, travaillait le cuir.

À 18 ans, il a participé à sa première caravane. Ce fut le mois le plus heureux de sa vie. Un rite initiatique qui a fait de lui «un homme, un Touareg, un vrai».

Mohammed vit à cheval entre deux mondes, l'ancien et le moderne, le nomade et le sédentaire. Il n'a participé qu'à deux caravanes. Il travaille comme guide touristique, interprète et traducteur. «Je me démerde, quoi», dit-il.

Les Touaregs sont éparpillés dans cinq pays qui traversent le désert. Mohammed se sent Touareg avant d'être Malien.

C'est le problème touareg qui a scindé le Mali, le nord en guerre, peuplé surtout de nomades, et le sud dominé par les Noirs et secoué par une crise politique grave.

Le problème touareg. L'expression fait bondir l'oncle de Mohammed, Hamed Ag Hamani. Il a été le premier premier ministre touareg de l'histoire du Mali, de 2002 à 2006.

Il vit dans une rue tranquille sans ordures, une rareté à Bamako. Quand on pousse la lourde porte de sa villa, on quitte l'air suffocant de la ville pour entrer dans un univers frais et blanc. Dans l'immense salon aux plafonds hauts, des fauteuils en cuir beige accueillent les visiteurs.

Hamed Ag Hamani affirme que les journalistes ne comprennent rien à la question touareg et prennent des raccourcis inacceptables lorsqu'ils traitent de la crise.

«Je rejette le terme «problème touareg», tonne-t-il. Nous ne sommes pas des exclus, des marginaux ou des rebelles! Nous sommes des nomades.»

Tout a commencé avec la chute de Kadhafi, affirme-t-il. Les hommes armés qui travaillaient pour le leader déchu se sont éparpillés dans le désert. Plusieurs sont venus dans le nord du Mali.

Un groupuscule a été créé, le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA), formé d'anciens mercenaires de Kadhafi. À l'hiver 2012, le MNLA a combattu le gouvernement malien et décrété l'indépendance. «Nous n'avons pas été consultés! proteste l'oncle de Mohammed. Il ne faut pas confondre le peuple touareg avec la rébellion d'un groupuscule composé d'éléments touaregs qui viennent de la Libye!»

Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) a profité de la rébellion. Ansar Dine et le Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (MUJAO), issus de ses rangs, ont d'abord épaulé le MLNA, mais ils l'ont vite supplanté.

Quand Ansar Dine et le MUJAO ont été chassés par les armées françaises et maliennes à la fin du mois de janvier, le MNLA a refait surface.

«Les gens du MNLA prétendent parler au nom des Touaregs, mais c'est faux, s'indigne Hamed Ag Hamani. Ils ne représentent rien, sauf eux-mêmes! Ce sont des bandits et des terroristes! Ils devraient rendre les armes et demander pardon au peuple malien.»

Et le nord négligé par le sud? Et les rébellions touaregs passées? Hamed Ag Hamani chasse ma question du revers de la main. «Ce qu'on voit aujourd'hui n'a rien de touareg», insiste-t-il.

Mohammed écoute son oncle, tête baissée, yeux mi-clos. Sur le chemin du retour, il me dit: «Tout le nord est délaissé par le gouvernement malien, pas seulement les Touaregs, mais aussi les Peulhs et les Sonrhaïs.»

Il n'y a pas un problème touareg, conclut Mohammed, mais un problème entre le nord et le sud.