En entrant dans Tombouctou, on tombe sur une grande pancarte plantée sur le bord du chemin: «La ville qui applique la charia vous souhaite la bienvenue». Les lettres noires tranchent sur le blanc usé du panneau.

Un rappel du règne des islamistes qui ont imposé un régime de terreur pendant 10 mois.

J'ai atterri à 17h05, hier à Tombouctou. Le soleil était bas et l'air frais. Ça prend une petite laine, le soir, à Tombouctou, car la température chute rapidement dans le désert la nuit.

Tombouctou est en guerre. Ou plutôt sur le pied de guerre. Il y a moins d'une semaine, l'armée française a chassé les islamistes avec une facilité déconcertante. Aujourd'hui, elle garde la ville. Elle la «sécurise», car les islamistes pourraient revenir. Ils ont été chassés, pas écrasés.

À l'aéroport, il n'y avait que des blindés, des avions militaires et des hélicoptères qui soulevaient des nuages de poussière. Et des soldats français qui jouaient au ballon.

Le chauffeur de taxi m'a raconté sa ville en conduisant son auto poussive qui protestait à chaque nid-de-poule. Ici, les rues ne sont pas des rues, mais des goudrons. Et à Tombouctou, il y a davantage de trous que de goudron.

«Ici, c'était la milice islamiste, disait le chauffeur. Et là, la grande mosquée qui a été saccagée.»

L'auto zigzaguait dans les rues étroites de Tombouctou. Les deux hôtels minimalistes étaient remplis de journalistes, surtout des Français venus dans les avions militaires de leur pays. Certains ont pris la route et franchi le millier de kilomètres qui séparent la capitale, Bamako, de Tombouctou, une route bloquée par des soldats maliens. Mais les journalistes ont fait des détours pour les éviter. Facile, dans ce désert qui s'étend à l'infini. Mais dangereux parce que les islamistes ne sont jamais loin et qu'un otage occidental vaut des millions.

La nuit est vite tombée sur Tombouctou qui n'a ni eau ni électricité, sauf de 10 h à midi. La ville vit donc dans le noir. Mais ce n'est plus un noir idéologique.

Le 1er avril 2012, les islamistes d'Ansar Dine, qui entretiennent des liens nébuleux avec Al-Qaïda au Maghreb, ont conquis la ville et imposé la charia en s'immisçant dans les détails de la vie quotidienne.

«On n'avait pas le droit de sortir, de se promener en moto ou de parler aux hommes, raconte la fille du maire de Tombouctou, Djittiye Fadimata. On ne sortait jamais de la maison. On pouvait se tresser les cheveux, mais ils nous interdisaient d'ajouter des mèches.»

Djittiye Fadimata travaillait comme secrétaire à la mairie, mais les islamistes ont saccagé les bureaux. «Ils ont tout cassé, précise-t-elle, il n'y avait plus rien qui marchait, puis ils ont brûlé les locaux.»

Je l'ai rencontrée à Bamako où sa famille s'est réfugiée un mois après la conquête des islamistes.

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Bamako. C'est là que je suis arrivée mardi soir. Vous ai-je déjà dit que j'ai vécu au Mali pendant deux ans à la fin des années 70? C'était il y a longtemps, tellement longtemps. À l'époque, le temps n'avait pas la même texture, la même urgence. Au Mali, la télévision n'existait pas et il n'y avait qu'une seule station de radio. Un dictateur, Moussa Traoré, régnait sur le pays. Je vivais au Mali, coupée du monde. J'avais l'impression d'être sur une autre planète, une planète noire, accueillante, chaleureuse.

Mais tout n'était pas parfait. Il y avait déjà des tensions entre les Touaregs qui vivent surtout dans le Nord et les Noirs qui dominent le Sud.

Je suis retournée au Mali en 2004 pour me pencher sur une anomalie africaine: une démocratie qui fonctionne. Le Mali était un modèle: pas de coup d'État, pas de dictateur qui s'accroche au pouvoir, une presse libre et une société civile forte. Mais la question des Touaregs n'était toujours pas réglée. Le gouvernement laissait pourrir la situation.

Puis, Al-Qaïda s'est installé dans l'immense désert que le Mali partage avec ses voisins, Algérie, Libye, Niger... La situation s'est détériorée, le Nord a proclamé son indépendance, amputant du même coup la moitié du territoire malien. Les islamistes en ont profité pour mettre la main sur les trois grandes villes du Nord: Tombouctou, Gao et Kidal.

Bamako, donc, où il n'existe aucune trace de la guerre. À peine un check point à la sortie de l'aéroport. La ville vaquait à ses occupations, comme si le pays n'était pas coupé en deux et que le Nord ne vivait pas au rythme de la guerre. Là aussi, les hôtels étaient remplis de journalistes. Et ils se posaient tous la même question: comment se rendre à Tombouctou?

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Pas facile d'atteindre Tombouctou. Les armées françaises et maliennes gardent jalousement le Nord. Je me suis donc organisée avec un groupe de journalistes: un Allemand, un type du New York Times, deux du Daily Telegraph de Londres, une du Los Angeles Times... Nous avons nolisé un avion. Mais les négociations et les demandes d'autorisation se sont enlisées dans de monstrueuses complications. Deux jours de paperasse à remplir et de pourparlers ardus, parfois surréalistes.

Nous avons finalement quitté Bamako hier vers 15h15 dans un tout petit avion. Le pilote nous a avertis: il ne pourra peut-être pas atterrir à Tombouctou. Le vent soufflait fort, soulevant le sable en grandes rafales, et la tour de contrôle avait été détruite par les islamistes. L'avion devait se poser à vue avec l'aide d'un GPS.

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Et Tombouctou? J'y suis déjà allée. C'était en 1978 entre Noël et le jour de l'An, je crois. Le bout du monde, le vrai. J'en ai gardé un souvenir fugitif de beauté, de grandeur, de ville minuscule perdue dans l'immensité du désert.

Je n'y avais passé que quelques heures.

Aujourd'hui, j'ai l'intention d'y rester plusieurs jours.