J'étais debout sur une chaise et je regardais Pauline Marois prononcer son discours de victoire, seule sur la scène. Ses partisans applaudissaient, euphoriques. Le Métropolis était plein à craquer, il n'y avait pas un pouce carré de libre. Environ 2000 personnes s'entassaient au balcon et sur le parterre. Le bruit était assourdissant.

Il était 23h55, mardi, cinq minutes avant l'heure de tombée. J'avais déjà envoyé mon texte à La Presse. Mon collègue, lui, travaillait, concentré. C'est là que j'ai vu deux gardes du corps se jeter sur Mme Marois et la prendre par le bras. L'un tirait à droite, l'autre à gauche. Elle était abasourdie, elle ne comprenait pas ce qui se passait. Nous non plus.

«Tommy! Il se passe quelque chose de grave, ai-je crié à mon collègue par-dessus le vacarme. Deux gardes du corps viennent de sortir Marois de la scène!»

Personne n'avait entendu le coup de feu tiré par Richard Henry Bain, personne ne se doutait qu'un homme venait de mourir et qu'un tireur voulait décharger son arme et sa folie sur Pauline Marois. On ignorait qu'un blessé grave avait été traîné à l'intérieur par deux agents de la Sûreté du Québec, que les salles de rédaction étaient en alerte et que les policiers et les pompiers arrivaient en force. On ignorait tout. Dans la bulle du Métropolis, seul un flottement stupéfait avait suivi la brusque disparition de Mme Marois.

L'animateur de la soirée, le comédien Yves Desgagnés, a dit qu'il y avait eu un «incident», une balle assourdissante. Le flottement a fait place à une certaine appréhension. Puis Mme Marois est revenue sur scène, dans ce micro-instant fragile où l'inquiétude aurait pu céder à la panique. Elle a demandé à ses candidats de la rejoindre sur la scène. Elle était entourée de six gardes du corps nerveux. Elle a expliqué que le Métropolis serait évacué mais qu'elle voulait d'abord souligner sa victoire une dernière fois. L'atmosphère de la salle a basculé. De fébrile et inquiète, elle est devenue calme et festive.

Plusieurs ont critiqué sa décision de revenir sur la scène. Je crois, au contraire, qu'elle a été courageuse. Oui, courageuse, et non téméraire, car elle a demandé l'avis de ses gardes du corps avant de se décider. Son geste a permis d'éviter une panique potentielle. Je vous rappelle que 2000 personnes survoltées étaient entassées dans un édifice qui est loin d'être conçu pour une évacuation rapide.

Et si le tireur avait eu un complice dans la salle? ont demandé ceux qui l'ont critiquée. Bonne question, mais c'était hautement improbable. Par contre, peu se sont demandé: et si les gens s'étaient rués sur les rares portes de sortie trop étroites du Métropolis? En revenant sur la scène, calme et souriante, Mme Marois a envoyé un signal clair et fort: la salle doit être évacuée, mais il n'y a pas péril en la demeure.

Mme Marois avait sous-estimé la menace, j'en conviens. Elle ignorait qu'un homme était mort. Elle avait vu un corps par terre, elle croyait qu'il n'était que légèrement blessé, et à travers la porte entrouverte, elle avait aperçu une boule de feu. N'empêche, elle possédait suffisamment d'éléments pour comprendre que quelque chose de grave avait forcé son évacuation. Elle a fait preuve de sang-froid. On ne l'a pas dit assez souvent.

Parlons-en, de la sécurité. Au lendemain de l'attentat raté, le capitaine Jean Finet, de la Sûreté du Québec, a déclaré à Radio-Canada que le danger avait été rapidement neutralisé et que l'intérieur du Métropolis était sécuritaire, car les sacs avaient été fouillés à l'entrée. J'ai appelé le capitaine Finet, hier. Oui, m'a-t-il confirmé, les sacs ont été fouillés.

Étonnante déclaration. Ce soir-là, on entrait dans le Métropolis comme dans un moulin, il n'y a eu aucune fouille sérieuse. Je suis arrivée vers 19h15 et on ne m'a rien demandé, ni ticket, ni carton d'invitation, ni carte de presse, rien. Et personne n'a vérifié ce que je traînais dans mon sac à dos.

Faut-il revoir les mesures de sécurité qui entourent ce genre d'événement? Oui. Devrait-il y avoir une enquête réalisée par un corps de police indépendant? Oui, c'est une évidence. On parle d'un premier ministre, d'un attentat qui aurait pu virer au cauchemar si l'arme de Bain ne s'était pas enrayée après le premier coup, d'une foule de 2000 personnes dans un endroit où la sécurité était déficiente, de la mort d'un homme et d'un blessé grave. Pourtant, il n'y aura rien. Ou plutôt si, il y aura une «rétroaction», m'a expliqué le capitaine Finet, comme «après chaque opération».

- Une rétroaction?

- Pour s'améliorer, a répondu le capitaine.

Rétroaction: chaque corps policier se pose des questions et fait un bilan, mais personne ne lui demande de rendre des comptes. Avouez que ce n'est pas sérieux.