D'abord négocier. Et si ça ne marche pas, décréter un moratoire sur la hausse des droits de scolarité. Oui, un moratoire jusqu'aux prochaines élections pour en finir avec ce conflit qui pourrit et se radicalise. Car la crise ne disparaîtra pas par magie.

Mais avant de décréter un moratoire, il faut laisser une dernière chance à la négociation. Les leaders étudiants sont prêts à négocier, même si leur expérience passée leur a laissé un goût amer. Le week-end dernier, étudiants, ministres, recteurs et leaders syndicaux ont négocié. Après une nuit sans sommeil, ils sont sortis, pâles, exsangues, d'une salle où ils avaient été cloîtrés pendant 23 heures. Le marathon endiablé a donné des résultats: une entente de principe.

Les leaders étudiants n'ont pas voulu en recommander l'adoption. Le signal lancé à leurs troupes était ambigu: on a signé une entente, mais on vous la soumet du bout des lèvres. On a déjà vu mieux comme «pitch» de vente.

Le lendemain, Jean Charest et la ministre de l'Éducation, Line Beauchamp, ont levé le nez sur l'entente. Jean Charest a dit et redit qu'il n'avait pas cédé, et Line Beauchamp en a rajouté en minimisant les gains obtenus par les étudiants. Un peu comme s'ils avaient craché dans la soupe après l'avoir mitonnée pendant 23 heures.

Les étudiants ont eu l'impression de s'être fait avoir. Pourtant, les leaders étudiants et les ministres avaient négocié de bonne foi une entente qui semblait les satisfaire, mais les déclarations irresponsables de Charest et Beauchamp ont tout bousillé. Avaient-ils peur d'être accusés d'avoir cédé? Voulaient-ils calmer des députés choqués par l'émeute de Victoriaville? Qui n'a pas vu les images d'une rare violence où policiers et émeutiers se tapaient dessus à coups de barres de fer et de briques?

Une chose est certaine, Line Beauchamp et Jean Charest ont perdu une belle occasion de se taire.

D'ailleurs, les ministres devraient se garder une petite gêne quand ils commentent la grève. Je pense à Pierre Reid qui a dit, au lendemain de la signature de l'entente de principe, que les leaders étudiants «avaient échappé le ballon». Premièrement, c'est Jean Charest et Line Beauchamp qui ont échappé le ballon, et deuxièmement, M. Reid est mal placé pour faire la leçon. Pendant son court règne à l'Éducation, il l'a drôlement échappé, le ballon, lui, un ancien recteur vite égaré dans le monde complexe de la politique.

Donc, il faut reprendre les négociations. C'est la seule porte de sortie. Mais une vraie négociation. Depuis quelques jours, la FECQ (cégeps) et la FEUQ (universités) discutent de façon informelle avec le cabinet de la ministre Beauchamp pour essayer de peaufiner l'entente de principe, mais la CLASSE, associée à l'aile radicale du mouvement, a été exclue jusqu'à tard hier soir. Pourtant, elle représente la moitié des étudiants en grève. Cherchez l'erreur.

Line Beauchamp doit quitter la table des négociations. Elle est usée, discréditée. Son aversion pour la CLASSE mine les chances d'en arriver à une véritable entente. La prochaine négociation sera délicate, ardue. Les étudiants ont perdu confiance dans le gouvernement. Normal, ils se sont fait rouler dans la farine.

Mais les leaders étudiants doivent aussi faire leur bout de chemin. Comme le président de la FTQ, Michel Arsenault, le leur a si bien expliqué: «négocier, c'est concéder. Vous avez réussi à monter le chat dans le poteau, vous devez maintenant trouver un moyen de le redescendre».

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Le gouvernement doit négocier parce que la rue se radicalise. Jean Charest doit cesser de répéter ad nauseam qu'il ne veut pas céder à la violence. Je n'en peux plus de cette rhétorique stérile qui emprisonne le conflit, de cette obsession qui paralyse tout. L'idée n'est pas de céder ou de ne pas céder, mais d'en finir avec cette foutue violence. Alors, laissons les ego au vestiaire et trouvons un règlement.

Oui, le conflit se radicalise, il faut être aveugle pour le nier. D'abord la réapparition des casseurs, puis l'émeute de Victoriaville, les bombes fumigènes dans le métro et l'émergence de groupes plus radicaux qui font passer la CLASSE et son porte-parole, Gabriel Nadeau-Dubois, pour des modérés.

Après la CLAC et le Black Bloc, la Force étudiante critique a sauté dans l'arène. Ce groupuscule radical né à l'UQAM a menacé de s'en prendre aux journalistes pendant le week-end. Tirer sur le messager, une tactique vieille comme le monde. La tactique des impuissants.

J'ai déjà rencontré des membres de la Force étudiante critique. C'était pendant un point de presse de Martine Desjardins, présidente de la FEUQ, et de Léo Bureau-Blouin, de la FECQ. Ils criaient: «ÉTUDIANTES!» chaque fois que Martine Desjardins ou Léo Bureau-Blouin disaient «étudiants» en omettant le féminin.

Ça vous donne une idée de la hauteur intellectuelle des militants de la Force.

Un de leurs supporteurs est accusé d'avoir lancé une bombe fumigène dans le métro. Il risque cinq ans de prison.

Pendant que la Force étudiante critique s'agite, Gabriel Nadeau-Dubois demande à ses troupes de se mobiliser. Une grande manifestation doit avoir lieu le 22 mai. Même Occupons Montréal est sorti des boules à mites.

Alors, non, ça ne se calme pas. Jean Charest doit prendre de la hauteur, il doit laisser tomber son chapeau de chef de parti et agir comme un premier ministre.

Car tout est en place pour de nouveaux dérapages: les injonctions se multiplient, les trimestres sont en péril et la colère des étudiants monte. Les coups de matraque et la mauvaise foi du gouvernement les ont radicalisés.

Un beau gâchis. C'est le premier ministre du Québec qui, de tout son poids, peut dénouer l'impasse. Il doit ramener tout le monde à la table des négociations. Et éviter, cette fois-ci, de cracher dans la soupe.