Hier, une rumeur courait dans les couloirs de l'hôtel de ville: le puissant directeur général, Louis Roquet, venait de remettre sa démission. La nouvelle est finalement tombée comme une bombe au début de la séance du conseil municipal. Questionné, le maire Gérald Tremblay a répondu sans hésiter: oui, M. Roquet a décidé de partir. De plein gré.

Encore un départ. De gros canons de l'administration Tremblay démissionnent ou sont démissionnés. Depuis que le maire est au pouvoir, c'est-à-dire depuis janvier 2002, six directeurs généraux se sont succédé, dont deux par intérim. C'est beaucoup. Il y a d'abord eu Guy Coulombe, puis André Delisle et Robert Abdallah, un mal-aimé qui est parti en cours de mandat. Il a ensuite été nommé à la tête d'une entreprise de Tony Accurso.

A suivi Claude Léger, un autre mal-aimé qui est aussi parti avant la fin de son mandat. Il a été congédié, le maire lui a demandé d'abandonner son poste.

Même fin de parcours abrupt pour le directeur du service des affaires corporatives, Robert Cassius de Linval, qui a dû remettre sa démission à peu près en même temps que Léger. Il en menait large. C'était en 2009, une année riche en scandales.

Après un autre intérim, Louis Roquet a été promu directeur général. Hier, il a remis sa démission, à peine deux ans après sa nomination.

La vague de départs ne s'arrête pas là. Le directeur de la police, Yvan Delorme, a décidé de partir même s'il n'avait que 48 ans et qu'il venait de renégocier son contrat. Delorme avait expliqué qu'il voulait profiter de la vie, faire de la moto et «gosser du bois», lui, un ébéniste accompli. Peu l'ont cru.

Sans oublier le président du comité exécutif de la Ville, Frank Zampino. Un autre qui est parti parce qu'il voulait relever de nouveaux défis.

La Ville est-elle ingérable?

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Louis Roquet est arrivé à la Ville avec une auréole de sauveur. Il avait un curriculum vitae long comme le bras et des tas de diplômes. Un vieux routier qui avait déjà travaillé à Montréal sous Jean Doré.

C'était l'homme de la situation, celui qui allait redresser la Ville et faire oublier tous les scandales. Le maire voulait tourner la page et être désormais celui qui savait ce qui se passait entre les murs de son hôtel de ville. Il voulait en finir avec les étiquettes de Ponce Pilate qui l'avaient tant blessé.

Sauf que Louis Roquet s'est mis les pieds dans le plat dès le début. Le vérificateur général lui avait remis une copie de son rapport sur TELUS, copie sur laquelle il avait pris le soin d'écrire: confidentiel - distribution interdite. TELUS avait signé un gros contrat avec la Ville. Le vérificateur y avait trouvé de «graves indices d'irrégularités» et avait alerté la Sûreté du Québec.

Louis Roquet a refilé en douce une copie du rapport à TELUS, une faute grave. Le plus ahurissant dans cette histoire, c'est qu'il s'est obstiné à défendre son geste. Il n'y voyait aucun accroc éthique.

Autre dossier qui a déraillé: l'espionnage. La Ville a nommé un contrôleur, Pierre Reid, chargé de mener des enquêtes sur les employés. Mais le mandat était tellement large et Pierre Reid, tellement cow-boy, que l'affaire s'est terminée en catastrophe. Pierre Reid a espionné le vérificateur et un élu, Claude Dauphin. Le vérificateur l'a su et il a pété les plombs.

Roquet a essayé d'en passer une petite vite au ministre des Affaires municipales, qui s'inquiétait devant ces enquêtes à la James Bond. Des explications ont donc été demandées à Roquet, qui a envoyé une lettre dans laquelle il s'est fait rassurant. De l'espionnage? Oh! si peu. Seuls des dossiers «relatifs à la gestion administrative du vérificateur ont été consultés», «de façon très sporadique, à quatre occasions seulement».

Aujourd'hui, on sait que l'espionnage a été systématique et que des milliers de courriels et de pages de documents ont été ouverts, certains concernant des enquêtes hautement confidentielles. Louis Roquet a induit le ministre en erreur. Une autre faute grave. Mais peut-être qu'il n'était pas au courant de l'ampleur de l'espionnage, même s'il était le plus haut fonctionnaire et que Pierre Reid relevait de lui.

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Louis Roquet ne s'entendait pas avec le nouveau président du comité exécutif, Michael Applebaum. Pendant les réunions, des portes auraient claqué. Louis Roquet en aurait eu par-dessus la tête. Est-ce la vraie raison de sa démission? Peut-être. Si c'est le cas, Gérald Tremblay aurait choisi Applebaum plutôt que Roquet. Hier, pendant un point de presse éclair donné par le maire à 19h, il a admis que les deux hommes avaient eu des discussions musclées. Et qu'il n'avait pas essayé de retenir Louis Roquet.

Louis Roquet en aurait eu assez de Michael Applebaum... et peut-être aussi de la Ville et de son maire.