Grosse journée à l'hôtel de ville, hier. Gérald Tremblay a admis que la Ville a déclenché une enquête sur le président du conseil municipal et maire de Lachine, Claude Dauphin, et que ses courriels ont été espionnés. C'est Pierre Reid qui a mené l'opération, le même qui a fouillé dans les courriels du vérificateur.

Le ministère des Affaires municipales n'en revenait pas. «Nous ne cautionnons pas et nous ne cautionnerons jamais ces méthodes-là, a dit la porte-parole, Caroline St-Pierre. Jamais le Ministère n'ouvrirait les courriels des élus!»

Ce n'est pas ce que le maire Gérald Tremblay a dit lors d'un point de presse fort couru. D'abord, il a tout admis, puis il a ajouté que la loi est claire: «On n'enquête pas sur les élus, on n'a pas le droit de s'immiscer dans leurs courriels.»

Mais, du même souffle, il a précisé que ces méthodes devenaient acceptables si le Ministère ou la police étaient tenus au courant. Bref, Pierre Reid a pu ouvrir les courriels de Claude Dauphin en toute quiétude, car la police ou le Ministère ont été mis au parfum.

Est-ce que Pierre Reid a appelé la police pour lui demander la permission d'ouvrir les courriels de Dauphin? ai-je demandé au maire.

«C'est flou, ce n'est pas clair», a-t-il répondu. Ce n'est peut-être pas clair pour le maire, mais pour la Sûreté du Québec, il n'y a aucune ambiguïté. «En aucun temps», la SQ n'a suggéré ou même demandé à la Ville d'intercepter des courriels, a indiqué un porte-parole, Daniel Thibodeau.

Double désaveu pour le maire. D'un côté, la SQ dément, de l'autre, le Ministère tombe des nues. Est-ce que Gérald Tremblay est mal renseigné?

Et le directeur général, Louis Roquet? C'est lui, le patron de Pierre Reid. Le 21 mars, il a écrit une lettre où il jure qu'aucune enquête n'a été menée sur des élus. Pourtant, Reid travaillait sur le cas de Dauphin depuis des mois et, fait encore plus troublant, la Sûreté du Québec a le dossier en main depuis mars 2010, c'est-à-dire depuis 13 mois. Treize longs mois. Et le maire ne savait rien? Le directeur général non plus?

Si Louis Roquet était au courant, il a cautionné un geste illégal. S'il ne savait rien, il faut se poser des questions sur sa compétence. Pierre Reid aurait donc agi sans garde-fou, sans contrainte et sans patron à qui rendre des comptes?

Pierre Reid a finalement été sacrifié. Hier, le maire a annoncé qu'il ne serait plus responsable des enquêtes internes. Reid part, mais son service reste. Donc rien n'est réglé. Qui va remplacer Reid? Qui va mettre ce service au pas? Qui va lui imposer des balises et lui expliquer dans le blanc des yeux qu'on ne peut pas déclencher des enquêtes sur des élus, car c'est illégal? Sûrement pas le maire. Le ministre Laurent Lessard?

Cet après-midi, le conseil municipal va voter pour que Claude Dauphin se retire temporairement de son poste de président jusqu'à ce que la «lumière soit faite sur les allégations». Si la SQ enquête sur Dauphin, il ne peut plus présider le conseil, même s'il est innocent jusqu'à preuve du contraire. Jacques Duchesneau a démissionné de son poste de directeur d'une équipe d'enquête sur un simple soupçon d'infraction à la loi électorale. Il a été blanchi. Le retrait temporaire de Dauphin est justifié.

Sauf que la SQ a le dossier en main depuis 13 mois. Et ce n'est qu'aujourd'hui que le maire exige le retrait de Dauphin? Pourquoi une telle urgence? Parce que La Presse a dévoilé les méthodes illégales utilisées par Reid?

Selon des sources de La Presse, le service de Reid se serait aussi intéressé au chef de police, Yvan Delorme, dans la foulée d'une enquête plus large sur BCIA. Sauf que la Ville ne peut pas faire une enquête sur son chef de police, même si elle a des doutes, pas plus qu'elle ne peut espionner les courriels du vérificateur ou des élus.

C'est le ministre de la Sécurité publique qui est le patron du chef de police. Si la Ville a des soupçons, elle doit en aviser le ministre. C'est lui, indique la Loi sur la police, qui décide s'il y aura une enquête, lui qui choisit l'enquêteur. Règle générale, c'est un autre corps de police, comme la Sûreté du Québec, qui est désigné pour enquêter.

«C'est une situation extrêmement sensible, m'a expliqué le criminologue de l'Université de Montréal Benoît Dupont. La loi est claire, c'est le ministre qui décide. D'ailleurs, lui seul peut recommander la destitution du chef de police.»

Le chef doit être indépendant des élus, a-t-il ajouté. Les deux univers - police et politique - doivent être étanches, même si c'est la Ville qui donne les grandes orientations et fixe le budget.

«Le chef de police possède des informations confidentielles, a dit Benoît Dupont. C'est lui qui déclenche des enquêtes. Il ne faut pas que les élus puissent l'influencer, sinon ils pourraient, par exemple, lui demander de fermer les yeux sur des cas de corruption ou de protéger des gens du crime organisé qui contribuent à la caisse du parti.»

D'où l'importance de séparer les deux mondes. Et c'est pour cette raison que seul le ministre peut décider s'il y aura enquête.

Pour joindre notre chroniqueuse: mouimet@lapresse.ca