Il y avait un monde fou au point de presse convoqué par Gérald Tremblay, hier. Le maire a été égal à lui-même: je ne savais pas, les gens qui ont espionné les courriels du vérificateur étaient de bonne foi; oui, la méthode utilisée est «questionnable», mais n'oubliez pas le fond, n'oubliez surtout pas le fond: Jacques Bergeron a commis des irrégularités et personne n'est au-dessus des lois.

Le scandale a éclaté lundi. Le maire n'a rien dit pendant trois jours. Trois longs jours où la tempête a soufflé sur l'hôtel de ville. Pourquoi ce silence? En politique, trois jours, c'est une éternité.

Et la tempête a soufflé fort. Espionner les courriels du vérificateur pendant 10 mois, c'est du jamais vu.

Tout a commencé en mars, lorsque le président du comité de vérification, André Harel, a reçu une plainte dénonçant des «irrégularités» qui auraient été commises par le vérificateur Jacques Bergeron.

Harel a appelé Pierre Reid, responsable des enquêtes internes, un vétéran qui travaille à la Ville depuis 31 ans et qui a la réputation d'être un cow-boy aux méthodes peu orthodoxes. Fouiller les courriels, installer une caméra devant l'entrée du bureau du vérificateur. Du mauvais James Bond.

Reid a fait quelques vérifications. Oui, a-t-il conclu, la plainte tient la route. André Harel lui a demandé d'approfondir son enquête.

C'est là que Reid a décidé d'espionner les courriels du vérificateur avec la bénédiction d'André Harel, qui n'a rien compris à la grossièreté du procédé. «Autrefois, on fouillait dans la correspondance. Aujourd'hui, on fouille les courriels», a-t-il dit pour se justifier. Sauf qu'on parle du vérificateur, dont la tâche consiste à enquêter sur la Ville. Les gens qui sont sous sa loupe - comme Pierre Reid - ne peuvent pas se mettre à enquêter sur lui. L'enquêteur «enquêté». Voyons donc! Ça tombe sous le sens. Pourquoi André Harel n'a-t-il pas compris une telle évidence? Et Pierre Reid, a-t-il eu l'ombre d'un doute?

Le maire a admis, du bout des lèvres, que la méthode utilisée par son super-enquêteur Reid n'était pas la trouvaille du siècle. Il l'a défendu en disant qu'il avait été de bonne foi. Il ne l'a pas désavoué, ce qui est renversant. Le vérificateur est protégé par la Loi sur les cités et villes. Il ne relève pas de l'administration Tremblay. Le conseil municipal est son seul et unique patron. À lui de décider s'il doit rester en poste. À lui, aussi, de prendre les dispositions nécessaires si des doutes entachent sa réputation.

Mais revenons au comité de vérification. Le maire a passé une bonne partie de son point de presse à parler de ce fameux comité pour donner un lustre de crédibilité à toute cette histoire. Le comité de vérification «relève du conseil municipal» et «n'a aucune permission à demander», a précisé le maire. C'est ce comité qui a pris les décisions, a-t-il répété. Sauf que le comité n'a jamais été consulté. Il n'a jamais su que son président, André Harel, avait confié une enquête à Pierre Reid. Il n'a jamais su, non plus, que Reid espionnait les courriels du vérificateur.

Pierre Lampron, conseiller de l'opposition, siège au comité de vérification avec deux membres indépendants (dont André Harel), deux élus du parti du maire et deux ou trois conseillers des villes défusionnées. Lampron est formel: jamais le comité n'a été mis au parfum, ni de l'enquête ni de l'espionnage.

Gérald Tremblay le sait-il? A-t-il étiré la vérité pour justifier l'injustifiable?

Et André Harel, a-t-il vraiment agi seul? Est-ce que Pierre Reid et lui ont concocté toute cette opération en cachette? Reid n'en aurait jamais parlé à son patron, le directeur général Louis Roquet? Si c'est le cas, il y a un grave problème de reddition de comptes à l'hôtel de ville. Deux hommes lancent une opération rocambolesque sans en parler à personne? Dans un contexte explosif où le maire et le vérificateur sont à couteaux tirés? Au moins une vingtaine de fonctionnaires travaillent sous les ordres de Reid. L'opération espionnage serait restée secrète?

Et si Louis Roquet le savait, il n'aurait rien dit au maire? La Ville espionne les courriels du vérificateur pendant 10 mois et Roquet n'en souffle mot?

Peu importe comment on regarde l'histoire, on en arrive à la même conclusion: il y a vraiment des problèmes à l'hôtel de ville.

Hier, Gérald Tremblay a affirmé qu'il voulait remettre tout le dossier au ministre des Affaires municipales. À lui de trancher, a-t-il dit. «Le débat est d'une telle intensité» qu'il ne peut pas y avoir de «décision éclairée»; ça manque de sérénité, a précisé le maire. Sauf qu'il n'y a jamais eu de sérénité à l'hôtel de ville, surtout depuis deux ans, où les scandales déboulent les uns après les autres. D'où sort cet urgent besoin de sérénité?

Pourquoi pas une tutelle, tant qu'à y être? La loi est claire: le patron du vérificateur, c'est le conseil municipal. C'est à lui de trancher. Aux deux tiers des voix. Pourquoi le maire veut-il refiler la patate chaude au ministre? Parce qu'il ne détient pas les deux tiers des voix?