C'est la première fois que Gérald Tremblay est directement impliqué dans une histoire qui ne sent pas bon. La première fois qu'une ingérence du maire est documentée, grâce à un courriel que mon collègue André Noël a obtenu.

L'histoire tourne autour de la vente d'un terrain qui appartenait à la Ville. L'imposant édifice de l'ancienne gare Viger, rue Saint-Antoine, a été vendu en 2006 à un groupe d'investisseurs. Montant: 9 millions. Pourtant, l'évaluation municipale frisait les 15 millions. Pourquoi un tel écart?

Parmi les acheteurs, Développement Télémédia, dont un des représentants et administrateurs est Philip O'Brien, homme d'affaires connu, supporteur de Gérald Tremblay. Il a contribué à plusieurs reprises à la caisse électorale du parti Union Montréal et il siège au conseil d'administration de la fondation du maire.

Développement Télémédia et ses partenaires caressaient de grands projets pour l'ancienne gare: hôtel de luxe de 227 chambres, 289 logements, 25 000 mètres carrés d'espaces commerciaux. Un projet de 400 millions, un des plus importants à Montréal. L'Office de consultation publique avait scruté le dossier. Grand branle-bas de combat. Cinq ans plus tard, il n'y a rien, pas l'ombre d'une pelletée de terre.

Le comité exécutif de la Ville s'est penché sur la transaction en juillet 2005. Quatre mois plus tôt, en mars, le gouvernement avait annoncé en grande pompe que le CHUM serait construit sur les terrains de l'hôpital Saint-Luc, à deux pas de la gare Viger. Un projet de plusieurs milliards. Ce quartier de Montréal, balafré par l'autoroute Ville-Marie, hanté par les sans-abri, allait recevoir un sérieux coup de pouce dans les années à venir. Sachant cela, pourquoi la Ville a-t-elle vendu l'ancienne gare au rabais?

Parlons du maire maintenant.

Les eaux deviennent vraiment troubles.

Le maire et son bras droit, Frank Zampino, sont intervenus dans la transaction. Le dossier a été déposé au comité exécutif, puis retiré pour être modifié. C'est là que le fameux courriel est arrivé. Il indiquait qu'à la suite d'une «rencontre de M. DesLauriers avec le maire et M. Zampino», le montant de l'évaluation municipale, 14,7 millions, serait «enlevé» du dossier.

M. DesLauriers était le directeur du processus décisionnel.

Depuis quand un maire intervient-il dans une transaction immobilière pour demander que des informations soient biffées? Surtout de la part de Gérald Tremblay, qui n'a jamais été un adepte de la microgestion. Au contraire, il a passé une bonne partie de son dernier mandat à dire qu'il ne savait rien. Eh bien, cette fois-là, il savait drôlement tout et dans les moindres détails, s'il vous plaît. N'avait-il pas une ville de 1,6 million d'habitants à gérer? Pourquoi cet intérêt soudain pour la vente d'un terrain?

En retirant du dossier le montant de l'évaluation, le maire a privé les élus d'une information stratégique. L'opposition aurait posé des questions avant que la transaction soit bouclée. Pourquoi vendre à 9 millions quand le terrain est évalué à 14,7?

Troublant.

Ce n'est pas tout, le courriel continue: «De plus, peut-on lire, (Sammy) Forcillo communiquera avec le Service des finances pour qu'il modifie leur intervention afin qu'elle soit libellée "Avis favorable avec commentaires" au lieu de "Avis favorable avec réserve".»

Pourquoi? Pour que le dossier passe comme du beurre dans la poêle, sans que les élus posent trop de questions? À l'époque, M. Forcillo était le conseiller politique de M. Zampino. Depuis quand un conseiller politique demande-t-il à des fonctionnaires de changer leur évaluation dans une transaction de plusieurs millions? C'est une intervention inacceptable. On parle d'une bâtisse de la Ville qui appartient, par extension, à tous les Montréalais. Le processus doit être totalement transparent et les contribuables veulent en avoir pour leur argent.

Autre question: pourquoi le terrain a-t-il été vendu de gré à gré? Pourquoi ne pas avoir mis la bâtisse sur le marché? La Ville aurait peut-être obtenu une somme nettement supérieure. Il y aurait probablement eu d'autres acheteurs, surtout avec l'annonce de la construction du CHUM.

La Ville n'a rien fait d'illégal, souligne le directeur des stratégies et transactions immobilières, Michel Nadeau. Elle a parfaitement le droit de vendre ses terrains et ses bâtiments comme elle l'entend. Elle a trois choix: de gré à gré, sur invitation ou en lançant un appel public de propositions.

Pour Viger, la Ville a choisi de gré à gré.

Pourquoi, M. le maire?