Shakiba et Nasseer se sont mariés, hier.* Dans la joie et la tristesse. Elle part dans quelques jours au Canada; lui reste ici, à Kaboul.

Il y a six ans, la famille de Shakiba a déposé une demande pour émigrer au Canada. Six ans et aucune réponse. Plus personne n'y croyait.

Shakiba a une soeur qui vit à Toronto depuis neuf ans. Toute la famille, parents, frères et soeurs, ont décidé de la rejoindre. Ils ont donc rempli les documents pour ensuite les déposer, remplis d'espoir, à l'ambassade du Canada. C'était en 2004.

Au début, Shakiba s'imaginait que tout se réglerait en six mois, un an, tout au plus. Elle avait 19 ans. Elle retenait son souffle et n'osait pas se marier. Mais les mois ont passé, puis les années. Elle a terminé ses études, repoussé quelques prétendants et trouvé un emploi dans une école primaire. Elle enseigne les arts. C'est une artiste, elle peint des miniatures.

Au début de l'année, elle a rencontré Nasseer. C'est le directeur de son école. Le coup de foudre? «Non, répond Shakiba en riant. Ici, en Afghanistan, l'amour vient avec le temps.»

Ils se plaisaient. Beaucoup. Mais Shakiba hésitait. La demande de visa, la foutue demande suspendue au-dessus de sa tête. Elle n'y croyait plus, mais...

Shakiba et Nasseer ont finalement décidé de se marier. Les parents de Shakiba étaient réticents. Nasseer n'est pas riche. Ce n'est pas payant être directeur d'école à Kaboul. Et il y avait la fameuse demande de visa qui traînait dans les cartons de l'ambassade du Canada.

Les parents ont fini par céder. Nasseer et Shakiba étaient heureux, amoureux. Shakiba voulait que Nasseer demande un visa pour le Canada. Au cas. Il ne l'a pas fait. «J'étais convaincue que Shakiba ne partirait jamais, explique Nasseer. Je n'y croyais pas.»

Une semaine avant le mariage, la nouvelle est tombée: le Canada accordait les visas, la famille pouvait partir. C'est comme si le ciel était tombé sur la tête de Shakiba et Nasseer.

«J'ai paniqué, je courais partout, j'appelais des amis, je cherchais de l'aide, des conseils», raconte Nasseer.

«Quand j'ai su que je partais, j'étais tellement triste, dit Shakiba. Je me sentais seule au monde.»

Ils ont pleuré.

Je les ai rencontrés au lendemain de leur mariage. Assis autour d'une table dans un jardin chauffé par le soleil, elle, les cheveux légèrement couverts par un voile noir, lui, le regard brillant. Leurs mains n'osaient pas se toucher. Ils essayaient de comprendre les sentiments contradictoires qui les agitaient.

Nasseer était survolté, Shakiba bouleversée. Heureux et tristes. Shakiba a 25 ans, Nasseer 30. Ils veulent vivre ensemble. Maintenant. Pas dans six ans.

Pour lui, le Canada est un rival. Et un inconnu. «Quand il fait jour ici, il fait nuit là-bas, dit-il. Et il fait très froid.» C'est tout ce qu'il sait.

Pas question de rester en Afghanistan. Ses parents sont morts, il vit avec son grand frère. Les deux hommes sont soudés. Pendant la guerre civile, des éclats d'obus ont déchiré la jambe de Nasseer. C'était en 1992 et Kaboul était sens dessus dessous, labouré par les roquettes.

Son frère a déposé Nasseer dans une brouette de fortune. Il a traversé la moitié de la ville en courant à la recherche d'un hôpital, le corps ensanglanté de Nasseer secoué par des cahots. Il a été sauvé in extremis.

Nasseer veut émigrer au Canada et vivre avec Shakiba, même s'il doit quitter son frère. Mais comment faire? Par où commencer? Quels papiers remplir? Et surtout, combien de temps avant qu'il puisse rejoindre Shakiba? Six ans?

Nasseer et Shakiba se regardent, une lueur de panique dans les yeux.

J'ai appelé l'ambassade du Canada à Kaboul. «Consultez le site web d'Immigration Canada», m'a-t-on répondu. J'ai insisté. On m'a envoyé par courriel des extraits du site web. «Dans 80% des cas, la demande est finalisée en 14 mois», peut-on y lire.

Quatorze mois. Sur papier. Mais dans la vraie vie, combien de temps Nasseer devra-t-il attendre?

*J'ai rencontré Shakiba et Nasseer le lundi 4 octobre.

Pour joindre notre chroniqueuse: michele.ouimet@lapresse.ca