Vera Danyluk. Son nom ne vous dit probablement rien. Cette semaine, à peine quelques lignes dans les journaux ont souligné sa mort. Une vie résumée en deux, trois paragraphes. Elle méritait mieux.

Vera Danyluk était une grande dame. Très politicienne et très intègre, deux mots qui ne vont plus ensemble en cette ère de commission Bastarache et de scandales dans l'industrie de la construction.

Vera Danyluk, mairesse de Mont-Royal pendant des siècles et présidente de la défunte Communauté urbaine de Montréal (CUM). Cela se passait dans un temps municipal ancien, à l'époque où l'île était morcelée en 29 royaumes: 28 villes de banlieue, plus la ville de Montréal. Les maires de banlieue, des politiciens coriaces et un brin machos, en ont fait voir de toutes les couleurs à Vera Danyluk.

En 2001, lorsque la CUM a été éliminée du paysage politique pour faire place à la nouvelle ville fusionnée, Vera Danyluk a songé à se présenter contre Gérald Tremblay et Pierre Bourque. Elle a même caressé l'idée de fonder son propre parti, mais elle a changé d'idée à la dernière minute. Elle n'avait pas assez d'appuis. Montréal aurait pu élire sa première femme maire, mais Vera Danyluk n'était pas prête.

Pourtant, elle avait de l'expérience et Dieu sait qu'elle en avait ramé un coup. Au comité exécutif de la CUM, il n'y avait que des hommes. Douze, pour être précis. Et c'était elle, la présidente. Elle était contestée. Elle voulait que la CUM soit un gouvernement, un vrai, avec un pouvoir de taxation et des politiciens élus au suffrage universel. Les maires de banlieue s'y opposaient farouchement. Non, disaient-ils, la CUM offre des services, point final. Il y a déjà assez d'ordres de gouvernement - fédéral, provincial, municipal et scolaire - sans en ajouter un autre.

Je l'avais rencontrée, un soir de novembre, dans son bureau de la CUM, à la fin des années 90. La pénombre avait lentement envahi la pièce, mais Vera Danyluk, plongée dans ses souvenirs, ne s'en rendait pas compte. Elle s'était vidé le coeur. Elle était en colère, mais une colère sourde, sans éclats de voix. Une colère polie, un peu à l'image de cette femme tellement distinguée, comme dirait ma mère.

Elle avait l'air d'une grand-mère inoffensive avec ses cheveux gris impeccablement coiffés, son regard franc et son sourire enjôleur. Elle était aussi très croyante. Le maire de Westmount, Peter Trent, se souvient de Mme Danyluk. Ils ont souvent croisé le fer. En dehors des débats parfois virils qui enflammaient la CUM, ils étaient amis. C'est lui qui m'a rappelé à quel point elle était croyante. «Elle défendait ses positions avec force, dit-il. C'était une femme de principe, très religieuse. Elle avait des idées fermes sur la moralité et la probité. Et elle avait un charme incroyable.»

Elle avait toujours une cloche dans son sac à main. Quand elle devait rappeler les élus à l'ordre, elle sortait sa cloche et la faisait tinter. Comme à l'école.

Elle était fière de ses origines modestes. Née dans Centre-Sud, élevée dans Hochelaga-Maisonneuve, elle parlait ukrainien avec sa mère.

Mais revenons à ce soir d'automne où la lumière décline dès la fin de l'après-midi, ce soir où elle s'était vidé le coeur en me parlant de ses collègues mâles qui lui en avaient fait baver. Des machos, avait-elle dit, tout en me demandant de ne rien écrire sur ces confidences qu'elle regrettait déjà.

N'allez pas croire que Vera Danyluk était une sainte. Orgueilleuse, têtue, elle défendait ses opinions bec et ongles. Elle était capable d'entortiller et de convaincre, mais avec gentillesse, courtoisie et grâce.

«Elle avait le tour de faire de la politique, affirme l'ex-maire de Montréal-Nord, Yves Ryan, qui s'est frotté à elle pendant les années tumultueuses où elle a présidé la CUM. Elle savait comment s'y prendre pour arriver à ses fins.»

En 2005, dans la foulée des défusions, elle a de nouveau brigué la mairie de Mont-Royal. Réélue haut la main en 2009, elle a finalement quitté la politique à cause de la maladie. Politicienne jusqu'au bout des ongles et jusqu'au bout de sa vie, mais intègre et passionnée. Une grande dame. Une espèce en voie de disparition.