L'ancien maire d'Outremont, Stéphane Harbour, a été arrêté hier. Lui et deux de ses anciens collaborateurs, Yves Mailhot et Jean-Claude Patenaude. Au total, 32 chefs d'accusation pèsent sur eux: abus de confiance, fraude, fabrication de faux documents...

Disons-le franchement, ces arrestations réchauffent le coeur du contribuable. Il y en a eu, des folies à Outremont à l'époque de Stéphane Harbour: comptes de frais gonflés aux stéroïdes, alcool qui coulait à flots à l'hôtel de ville, achat de caisses de scotch (une caisse vaut 500$), primes de rendement à gogo, etc.

Le maire Harbour s'est même fait payer des cours d'anglais en refilant la facture à Patenaude, qui l'a inscrite sur ses comptes de frais

Et qui payait pour tout ça? Le contribuable.

Et qui paie aujourd'hui? Stéphane Harbour et ses deux ex-collaborateurs. Harbour qui faisait partie de l'équipe de Gérald Tremblay. Un peu gênant pour le maire. Ils n'ont pas été reconnus coupables. Ils ne sont qu'accusés. Ils doivent se présenter en cour le 6 mai. N'empêche.

La justice a le bras long, dit-on. C'est vrai. Long et impitoyable. La morale de cette histoire: les élus et les hauts fonctionnaires ne peuvent pas triturer leurs comptes de frais et faire des folleries sans risquer, un jour, de se faire prendre la main dans le sac.

Ce n'est pas tous les jours qu'on peut voir un ancien maire se faire traîner au quartier général de la Sureté du Québec avec neuf chefs d'accusation qui lui pendent au bout du nez.

On ne peut s'empêcher de se dire que, finalement, il y a une justice et que cette justice s'applique à tout le monde.

Comme je le disais, ça réjouit le coeur du contribuable. L'escouade Marteau, chapeautée par la Sureté du Québec, ne manquera pas de se péter les bretelles avec ces arrestations. Sauf qu'on reste dans le menu fretin: les allocations de dépenses gonflées à l'hélium et autres excès d'un maire d'arrondissement.

On est loin des vraies affaires, c'est-à-dire des liens troubles entre des entrepreneurs et des municipalités, des appels d'offres trafiqués, des coûts de construction qui explosent et de la corruption.

La Sûreté du Québec a mis deux ans avant d'aboutir à des accusations contre Harbour, Mailhot et Patenaude. Pourtant, ce n'était pas une enquête très complexe: des comptes de frais falsifiés, des fabrications de faux documents, des cours d'anglais sur le bras et de l'alcool qui coulait à flots. On n'est pas dans les compteurs d'eau. Loin de là.

On n'est pas, non plus, dans la construction du Centre intergénérationnel d'Outremont par la firme Dessau et dont les coûts ont doublé. Dossier drôlement plus costaud que les extravagances de Stéphane Harbour. L'escouade Marteau enquête, mais ça risque de prendre du temps, beaucoup de temps. Trop de temps.

Comme me l'a déjà expliqué Jacques Duchesneau, ex-patron de la police de Montréal, seule une enquête publique permettra de mettre à jour la corruption.

«Les enquêtes de police sont longues, avait-il dit. Pour obtenir la permission de faire de l'écoute électronique à l'époque de Carcajou, on avait besoin d'un affidavit de 700 pages. Ça nous a pris deux ans pour le rédiger. Sommes-nous prêts à attendre aussi longtemps et à mettre le couvercle sur les scandales? Il faut changer les moeurs politiques et on n'y arrivera pas en arrêtant quatre bandits et en les condamnant à six mois de prison. Une commission d'enquête a des règles beaucoup plus souples. Elle a le pouvoir de convoquer des gens et elle peut les obliger à parler.»

Jacques Duchesneau dirige aujourd'hui une brigade anticollusion au ministère des Transports.

L'escouade Marteau s'est surtout illustrée par des visites-surprises dans des compagnies, comme Simard-Beaudry et Construction Catania. Et l'arrestation d'un ancien fonctionnaire de Beaconsfield soupçonné d'avoir accepté un pot-de-vin. C'est mince.

Pourtant, le premier ministre Jean Charest ne jure que par cette escouade mise sur pied en octobre et qui réunit les policiers de la Sûreté du Québec, de Montréal, Longueuil et Laval.

Sauf que pour l'instant, l'escouade reste dans le hors-d'oeuvre. Hors-d'oeuvre croustillant, certes, mais hors-d'oeuvre quand même. On attend le plat principal.

Jean Charest résiste à l'idée de créer une commission d'enquête publique. Pourtant, tout le monde en réclame une: le maire Gérald Tremblay, la police, les procureurs de la Couronne, les partis de l'opposition, etc. Tous, sauf Jean Charest... et la FTQ-Construction.

Ce n'est pas avec les arrestations au compte-gouttes de l'escouade Marteau qu'on réussira à démonter pièce par pièce le système de corruption dans l'industrie de la construction.

Bien sûr, on se réjouit de voir Stéphane Harbour se faire arrêter par la police, mais on attend toujours de voir les vraies affaires.

Le problème, c'est qu'on risque d'attendre longtemps.