La langue. Sujet délicat et potentiellement explosif.

L'éternelle question: le français est-il menacé, surtout à Montréal, lieu de tous les dangers?

Sans oublier la question qui attise l'insécurité des francophones, fragile minorité noyée dans un océan anglophone: est-ce que Montréal s'anglicise?

Oui, répond sans hésiter le député du Parti québécois et ex-comédien Pierre Curzi. Et le phénomène s'accélère.

 

L'équipe de M. Curzi a bûché ferme sur une étude qui trace le «vrai visage du français au Québec». Un document de 85 pages qui contient un nombre impressionnant de statistiques au pouce carré. Huit mois de recherche, plusieurs rencontres avec des linguistes et des démographes, et des milliers de pages de documents du Conseil supérieur de la langue française, de Statistique Canada, etc.

Bref, du sérieux.

Mais, mais... on peut faire dire tout et son contraire à des statistiques. Et celles contenues dans le document de M. Curzi sont alarmistes.

Une des conclusions: l'anglais a une force d'attraction cinq fois supérieure au français dans l'île de Montréal. Et ce phénomène est en train de faire tache d'huile dans les couronnes nord et sud de l'île.

De 2001 à 2006, la langue d'usage anglaise, celle utilisée le plus souvent à la maison, a progressé de 16% dans les couronnes de Montréal et de 3,3% dans l'île. Le français, lui, a crû de 6% dans les couronnes et a reculé de 1,7% dans l'île.

L'étude compare ces taux au poids relatif de chaque langue. En 2006, il y avait 2,83 francophones à Montréal pour un anglophone. Le français aurait donc dû exercer un pouvoir d'attraction plus grand que l'anglais. Mais ce n'est pas le cas, au contraire, conclut l'étude. L'anglais séduit et son pouvoir d'attraction est cinq fois plus important que le français (je vous fais grâce des calculs qui aboutissent à ce 5%).

«L'anglicisation de Montréal et de sa couronne doit être renversée si on veut éviter l'anglicisation de tout le Québec à long terme», conclut l'étude Curzi.

Conclusion alarmiste. Le Québec ne sera pas The Province of Quebec demain matin. Sur papier, avec des projections mécaniques, peut-être, mais dans la vraie vie, c'est une autre histoire.

Étonnamment, il n'y a pas un mot sur la langue d'usage publique, c'est-à-dire celle utilisée le plus souvent dans les commerces, au travail et à l'école. Car on peut parler anglais à la maison (langue d'usage), mais travailler en français et envoyer ses enfants à l'école française.

Le portrait aurait été plus nuancé et plus juste. Moins alarmiste. Pourquoi ne pas avoir utilisé cet indicateur? ai-je demandé à M. Curzi. «Parce qu'on rentre dans des notions difficiles à vulgariser», a-t-il répondu.

Mauvaise réponse. Dans le domaine extrêmement délicat et hautement politisé de la langue, il ne faut surtout pas avoir peur de vulgariser. Au contraire.

J'ai envoyé par courriel les pages sur la force d'attraction de l'anglais à deux professeurs d'université qui ont accepté de commenter, mais avec une certaine réserve. Délicat, m'ont-ils dit.

Marc Termote, qui est longuement cité dans l'étude, mais qui n'a pas participé à sa rédaction, précise que les conclusions de M. Curzi rejoignent les siennes.

«Je ne vois pas de contradiction entre mon analyse et celle de M. Curzi», a-t-il dit.

M. Termote enseigne au département de démographie de l'Université de Montréal en plus de présider le comité de suivi sur le français à l'Office québécois de la langue.

Simon Langlois, lui, est sociologue et professeur à l'Université Laval. Il ne conteste pas les conclusions de l'étude, mais il tient à préciser que les anglophones sont beaucoup moins nombreux que les francophones. Alors, quand on parle d'une force d'attraction cinq fois plus grande de l'anglais, il faut relativiser.

Au Québec, les anglophones sont 10 fois moins nombreux que les francophones.

Il rappelle aussi que le français a réalisé des gains importants sur le marché du travail.

Nuance, nuance.

Le fonds de commerce des péquistes est bien connu: cultiver l'insécurité des francophones pour promouvoir la cause souverainiste. C'est de bonne guerre. Il faut donc souffler sur les braises linguistiques. Ce que M. Curzi a parfaitement réussi avec son étude. Quand on tourne la 85e et dernière page, on ne peut que ressentir de l'inquiétude.

Car le français reste fragile. «Ce qui m'inquiète, c'est l'évolution depuis 10 ans, confirme Simon Langlois. Elle marque un plafonnement, un essoufflement du français. Surtout au cégep et à l'université, où de plus en plus d'allophones se tournent vers l'anglais. Et c'est pour ça que des hommes comme M. Curzi s'interrogent.»

Est-ce que la loi 101, qui oblige les enfants des allophones à fréquenter l'école primaire et secondaire française, suffit pour protéger la langue? Non, croit M. Curzi.

Peut-être a-t-il raison. La question est lancée. Reste à en débattre. Calmement.

Pour joindre notre journaliste: michele.ouimet@lapresse.ca