J'étais soufflée, scandalisée.

Hier, j'écoutais le diplomate Richard Colvin raconter comment il avait tenté à plusieurs reprises d'alerter le gouvernement Harper et les officiers supérieurs de l'armée pour leur dire que les prisonniers afghans étaient torturés.

Frappés à l'aide de câbles, privés de sommeil, secoués par des décharges électriques, agressés sexuellement et même violés.

Les soldats canadiens n'ont pas torturé les prisonniers, ils les ont plutôt remis aux redoutables services secrets afghans, qui, eux, s'en sont chargés.

 

Selon Colvin, la plupart des prisonniers étaient torturés. Pas étonnant quand on connaît la dureté des services secrets, qui ont raffiné leurs «techniques» auprès du KGB à l'époque de l'occupation soviétique. En Afghanistan, tout le monde a peur des services secrets.

Je n'étais pas la seule à être renversée par les révélations qu'a faites le jeune diplomate de 40 ans devant un comité parlementaire à Ottawa. La salle était pleine à craquer. Il n'y avait pas assez de place pour les journalistes, qui se tenaient debout dans le fond de la salle.

Colvin a parlé avec une franchise et un aplomb déconcertants. Il a laissé de côté le vocabulaire ampoulé des diplomates pour dire crûment à quel point les Canadiens ont laissé les prisonniers afghans se faire torturer sans lever le petit doigt.

Cheveux bruns coupés court, costume gris, cravate bleu pâle, Richard Colvin était tiré à quatre épingles. Il ressemblait davantage à un fils de bonne famille qu'à un homme prêt à risquer sa carrière pour déballer les honteux secrets afghans. Car Colvin est toujours diplomate. Il occupe un poste à l'ambassade canadienne à Washington. Ça prenait une bonne dose de courage pour témoigner devant le comité.

Richard Colvin a travaillé en Afghanistan pendant 18 mois, d'avril 2006 à octobre 2007. Il s'est vite intéressé à la question des prisonniers. Selon lui, la torture était un secret de Polichinelle.

Les Britanniques et les Néerlandais, eux, suivaient leurs prisonniers à la trace. Pas le Canada, qui se fiait à la Commission afghane des droits de la personne et à la Croix-Rouge. Un système broche-à-foin que Colvin a dénoncé.

Colvin a alerté plusieurs personnes: des civils et des militaires, y compris le général Rick Hillier, le grand patron des Forces armées canadiennes en Afghanistan, et David Mulroney, sous-ministre aux Affaires étrangères.

Colvin ignore si Stephen Harper a été mis au courant. Il ne sait pas, non plus, si les ministres responsables, Gordon O'Connor et Peter MacKay, ont reçu ses rapports. Il en a envoyé 18 à 75 personnes. Difficile de croire que le gouvernement ne savait rien.

Colvin s'est heurté à la culture du secret solidement implantée à Ottawa. En avril 2007, alors que la torture était un sujet brûlant, il s'est fait dire de ne plus rien mettre par écrit. Désormais, lui a-t-on dit, toutes les informations concernant les prisonniers afghans se transmettraient par téléphone.

Les conservateurs ont tout fait pour bloquer son témoignage. Il devait parler devant la Commission d'examen des plaintes de la police militaire, mais le gouvernement Harper a saboté ses travaux en multipliant les embûches. Après deux ans d'existence, la Commission n'a pas entendu un seul témoin. Elle a même dû suspendre ses audiences pour se battre en cour contre Ottawa.

Quand on entend ce que Colvin avait à dire, on comprend les craintes des conservateurs, qui continuent de nier. La torture? Mais non, voyons.

* * *

La torture existe. Je le sais parce que je suis allée dans la prison de Sarpoza, à Kandahar, en octobre 2007. J'ai parlé à des prisonniers qui avaient été capturés par les soldats canadiens, puis remis aux services secrets afghans. Je les ai écoutés pendant des heures. L'un d'eux m'a lancé: «C'est vous, les Canadiens, qui êtes responsables de la torture parce que vous nous livrez aux services secrets, qui agissent comme des sauvages!»

Quand j'écoutais Colvin, j'entendais de nouveau, quasiment mot pour mot, les confidences des prisonniers, je revoyais l'incompétence des Canadiens et surtout, surtout, je revivais la culture du secret si chère au gouvernement Harper.

Le plus troublant, dans toute cette histoire, c'est que les prisonniers sont toujours transférés. Sont-ils remis aux services secrets afghans? Sont-ils torturés?

Je crois que M. Harper devrait avoir la décence de répondre à ces questions. Et pas sous la torture.